"Andrianiko ny teny, ny tenin’ny hafa koa feheziko : Je respecte ma langue et je maîtrise la langue des autres"
Entretien avec Marie Michèle Razafintsalama, éditrice
Dans un contexte malgache marqué par des difficultés économiques et politiques importantes depuis quelques années, les éditions Jeunes Malgaches apparaissent comme la maison qui continue avec le plus d’opiniâtreté à publier, en montant des coéditions et en trouvant des partenaires qu’ils soient associatifs ou institutionnels comme l’UNESCO, par exemple.
Or, le choix de la langue de publication est une question sensible pour sa directrice éditoriale, Marie-Michèle Razafintsalama, qui souhaite encourager la lecture en langue maternelle, tout en facilitant l’accès aux langues et aux cultures étrangères. Les éditions Jeunes Malgaches ont d’ailleurs signé leur premier achat de droit, l’année dernière, en publiant une version malgache du Petit Prince de Saint-Exupéry : la traduction comme autre manière de faire circuler les mots…
Quelles langues parlez-vous ? Comment les avez-vous apprises ? Comment décririez-vous votre rapport à la langue ?
Je parle la langue malgache depuis ma naissance. À l’école primaire, la langue d’enseignement était le malgache et nous avons appris le français comme langue étrangère. J’ai eu du mal à apprendre le français parce que j’avais l’impression qu’on me forçait. À partir de la classe de 6e, cependant, l’enseignement se faisait en français. Dans notre école, nous avions beaucoup de livres en français. On nous obligeait à lire des livres et à en faire le résumé. Je n’ai pas du tout apprécié cette méthode et donc, je n’ai pas du tout aimé lire jusqu’en classe de seconde où j’ai découvert les romans de la collection « Harlequin » et Barbara Cartland. Dans mon enfance, je ne parlais jamais le français à la maison. Pour payer mes études supérieures, j’ai dû travailler dans une maison d’édition et mon milieu professionnel était très francophone. C’est à force de côtoyer les fournisseurs et partenaires français que j’ai amélioré mon français. Et je parlais de moins en moins le malgache.
En 2004, j’ai écrit trois histoires pour enfants en malgache, alors que je n’utilisais plus beaucoup cette langue. Je ne savais pas que j’étais capable d’écrire dans ma langue. Cela m’a donné beaucoup d’assurance et m’a permis de côtoyer les éditeurs malgaches qui conversaient exclusivement en malgache dans les réunions. En 2007, j’ai aussi traduit un album français en malgache.
Dans mon travail, maîtriser une ou plusieurs langues est un atout, car cela me permet d’élargir mes relations professionnelles et de pouvoir faire des conférences pour expliquer la situation de l’édition dans notre pays. En ce moment, j’essaie de me remettre à l’anglais, car je commence à fréquenter des éditeurs africains anglophones et le problème des langues est un vrai frein à la collaboration.
Pouvez-vous décrire le contexte linguistique à Madagascar ?
Depuis les années 1980 jusqu’en 2006, l’enseignement à Madagascar était supposé être officiellement en français, mais cela n’a jamais été le cas dans les écoles en milieu rural et dans les bas quartiers des villes où les enseignants ne parlent pas français. Entre 2003 et 2008, l’anglais a été introduit dans la constitution malgache et la position du malgache par rapport au français et à l’anglais est devenue ambiguë. La politique linguistique proposée par l’Office national des langues n’a jamais été validée. Les derniers chiffres de la Francophonie parlent de 5 % de francophones et de 15 % de francophones partiels à Madagascar. Beaucoup de professeurs enseignent en bilingue français/ malgache, même à l’université où tous les cours sont censés être en français. Le niveau de français est très bas, car la population n’utilise pas cette langue dans la vie quotidienne. Une toute petite frange de la population commence à parler anglais et quelques écoles primaires d’expression anglaise ont vu le jour au cours de ces six dernières années.
Les Éditions Jeunes Malgaches alternent des publications en malgache, en français, ou encore, des livres bilingues. Pourquoi ?
La première publication de la maison fut en malgache, à la suite d’une étude qui faisait ressortir que les enfants en milieu rural et dans les quartiers défavorisés avaient grandement besoin de lire dans leur langue. Il se trouve que cette couche de la population n’a pas les moyens d’acheter des livres. Pour pouvoir continuer à éditer, nous avons dû opter pour le bilingue français/ malgache, afin de toucher la partie de la population qui a les moyens d’acheter mais qui ne veut pas forcément lire en malgache. Il y a aussi les associations qui, pour soutenir nos actions, veulent des livres bilingues afin de faciliter leurs actions de levée de fonds en France.
Pour le primaire, nous avons édité beaucoup de livres bilingues. Pour le préscolaire, nous éditons essentiellement en malgache afin de nous rallier aux recommandations du Ministère de l’éducation malgache mais aussi par conviction, car un enfant doit lire dans sa langue maternelle dans ses premières années de lecture.
L’année dernière, nous avons créé une collection pour adolescents en français, après le constat que les livres importés en français ont un niveau trop élevé pour les collégiens et les lycéens et que cela ne les encourage pas à lire. C’est une collection de courts récits ou de nouvelles, écrits par des auteurs malgaches d’expression française. Les deux titres parus feront prochainement l’objet de rencontres avec les auteurs dans les lycées.
Quel est le marché pour les livres en malgache ? Et en français ? Qui achète, qui lit ?
Le marché pour le livre en malgache est énorme, si on considère qu’il y a 3 500 000 enfants dans le primaire. Il faut souligner que 86 % de ces enfants sont monolingues. Malheureusement, il est très difficile de toucher ces enfants sans l’implication de l’État. Pour le moment, nous travaillons avec les associations qui créent des bibliothèques dans les zones rurales et dans les quartiers défavorisés. Ce sont elles qui achètent la majorité de nos livres. Les enfants aiment nos livres et les associations nous encouragent à publier davantage, car les besoins sont énormes.
Un de nos livres bilingues a aussi été introduit dans les malles pédagogiques pour l’apprentissage du français destinées aux maîtres enseignant le français. Par ailleurs, les écoles françaises achètent nos livres, car elles doivent avoir un fonds malgache dans leurs bibliothèques.
Avec le soutien de l’association franco malgache Touraine Madagascar, nous faisons depuis deux ans des rencontres d’auteurs, en malgache, dans les écoles primaires publiques. Et les enfants en redemandent. Un de nos auteurs utilise aussi un album illustré sans texte pour les rencontres et les enfants arrivent à produire une petite histoire avec le livre. Les associations reconnaissent que le bilingue permet aux enfants de passer du malgache au français.
Quels sont vos projets en 2012 ?
Les prochaines parutions sont un livre d’histoire sur Madagascar en français, un album illustré bilingue et un album en malgache.
Pouvez-vous raconter une histoire, un souvenir, une anecdote qui résume votre rapport aux mots et à la langue…
J’ai composé les trois textes de la collection « Maria » lors d’un après-midi pendant mes vacances de 2004. C’est un projet que je voulais faire depuis longtemps. Les trois textes sont arrivés comme ça dans ma tête, sans que je ne sache exactement comment. Je réalisais que je pouvais écrire en malgache et que je maîtrisais cette langue que je n’utilise pas dans ma vie professionnelle. Cela m’a permis de côtoyer des responsables de l’Académie malgache que j’avais peur d’approcher jusqu’à présent.
Je me suis aussi engagée dans une association de femmes « Ny Andriambavilanitra » qui défend la langue malgache, dont la devise est « Andrianiko ny teny, ny tenin’ny hafa koa feheziko » (je respecte ma langue et je maîtrise la langue des autres). Cette association a pour objectif d’apprendre aux enfants à parler une seule langue à la fois et d’éviter de mélanger le français et le malgache.
Je continue à écrire des livres en malgache et à parler toujours plus en malgache. J’anime des formations de bibliothécaires en malgache, car j’ai constaté que les formateurs sont toujours des Français et que cela n’est pas toujours évident quand il faut donner des formations aux bibliothécaires en milieu rural.
Pour aller plus loin
Créées en 2004, les éditions Jeunes Malgaches compte une trentaine de titres pour la jeunesse à leur actif avec, principalement, des albums pour les tout-petits, des contes et des livres d’activité. Dernièrement, Jeunes Malgaches s’est intéressé aux adolescents avec une collection, « Ado poche », de cours récits en français.
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Éditions Jeunes Malgaches
51 rue Tsiombikibo Ambatovinaky
Antananarivo 101
Madagascar
ejm@prediff.mg - Site de la maison d’édition [Consulté le 01.03.2012]