Quelles langues pour la littérature de jeunesse dans les pays arabes ?

Par Hala Bizri, bibliothécaire et chercheuse
Photographie de Hala Bizri

Vingt-deux pays, autant de dialectes, des langues minoritaires et une même langue standardisée en partage : le Monde arabe est loin d’être linguistiquement uniforme. Chaque pays a ses enjeux linguistiques spécifiques, liés à son histoire et à ses choix culturels et identitaires ; ces enjeux se reflètent aussi dans le domaine de la littérature pour la jeunesse. En effet, en quelle(s) langue(s) s’adresser aux enfants dans un contexte si particulier ?

Hala Bizri, bibliothécaire et chercheuse, dresse le panorama linguistique du Monde arabe et le met en résonance avec les choix de langues d’édition opérés dans la région.

« Monde arabe », deux mots qui évoquent l’unité linguistique des trois sous-parties culturelles que sont le Maghreb, le Machreq et la Péninsule arabique, liées effectivement par l’arabe comme langue officielle. Mais, en réalité, chacun des vingt-deux pays de cette Ligue arabe a son propre dialecte – issu de l’arabe – qui est de facto la langue maternelle de ses citoyens. Il existe aussi des langues minoritaires parlées, et souvent écrites, dans la plupart de ces pays, ainsi qu’un usage des langues occidentales plus ou moins étendu selon les pays. Langue officielle d’une vingtaine de pays et langue de référence pour des millions d’émigrés de par le monde, l’arabe ne manque donc pas de rivalités sur son propre terrain, entre dialectes, minorités linguistiques et langues étrangères.

L’arabe standard en partage

Cette problématique linguistique se reflète particulièrement dans l’édition, où l’arabe standard ou fusḥa فصحى, sorte de lingua franca unissant ces différents pays, a la part la plus importante. L’arabe standard est, par ailleurs, la forme unique de l’arabe employée dans les manuels scolaires, que ce soit pour l’apprentissage de la langue ou pour les différentes matières d’enseignement, de l’histoire aux sciences. De ce fait, c’est une langue que connaissent et lisent les enfants scolarisés dans les pays arabes, mais qu’ils apprennent comme une langue étrangère, dans sa structure et souvent aussi dans son vocabulaire : l’arabe standard n’est pas pratiqué au quotidien. Les langues pratiquées en tant que langues maternelles dans les pays arabes varient entre le dialectal (marocain, égyptien, syrien, émirien, etc.), les langues minoritaires (amazigh, syriaque, arménien, kurde, etc.) ou encore le français et parfois l’anglais. Si le dialectal est souvent proche de l’arabe, il n’en reste pas moins une langue indépendante, largement influencée dans son vocabulaire comme dans sa structure, par différents emprunts, selon les régions, au syriaque, au copte, au persan, au turc, à l’italien, au français, etc. Ces influences régionales font que le dialecte d’un peuple peut être compris bien plus facilement par ses voisins immédiats que par le reste du Monde arabe : ainsi le Marocain comprendra beaucoup mieux l’Algérien que le Palestinien, qui aura lui-même plus de facilités avec le Syrien qu’avec l’Irakien.

C’est par l’emploi de l’arabe standard que les livres scolaires vont réussir à dépasser la question géographique. Utilisés par des enfants d’horizons différents, de Mauritanie jusqu’en Irak, ils créent un lien linguistique entre des peuples de cultures différentes. C’est cette même forme de l’arabe qui sera employée aussi bien dans les albums que dans les romans pour la jeunesse. Il est pourtant très rare, voire exceptionnel, qu’un enfant, même scolarisé, soit capable de s’exprimer librement dans cette langue, alors qu’il est habitué à l’utiliser dans ses rédactions et ses lectures. L’usage de l’arabe standard n’est donc pas naturel pour l’enfant arabe, en ce sens que c’est une langue où l’enfant est surtout réceptif, et qu’il peut difficilement l’employer pour raconter un rêve ou une anecdote. Il est encore moins évident pour les Arabes de la diaspora, dont les enfants se retrouvent face à la nécessité d’apprendre deux langues « étrangères » (la langue du pays d’accueil étant souvent devenue leur langue première), qui sont le dialectal, utile et nécessaire en famille et avec les amis, et le standard, seul outil d’accès à l’écrit, mais aussi à tout discours oral préparé à l’avance tels que le journal télévisé ou les discours politiques. La première décennie des années 2000 verra ainsi la naissance d’un projet appelé « Arabi 21 » lancé par la Fondation pour la Pensée arabe (fondation saoudienne basée à Beyrouth), dont le but principal est de permettre aux enfants du XXIe siècle de s’approprier la langue arabe comme langue maternelle, renforçant par là même la place de l’arabe standard.

Un arabe très standardisé…

Mais, si la langue de publication en littérature enfantine est essentiellement l’arabe standard, c’est surtout un arabe prudent et même filtré qui est utilisé, évitant tout vocabulaire proche, un tant soit peu, des dialectes et tout emprunt aux langues occidentales. En effet, il suffit souvent d’un mot d’appartenance locale pour que le livre perde son public à l’étranger ou d’un petit écart de langue pour que les communautés scolaires (direction, enseignants), ainsi que les parents, s’élèvent contre l’écrivain et interdisent aux enfants l’accès au livre. L’usage d’un mot dialectal dans un album pour enfants peut être considéré comme vulgaire et déplacé, voire incorrect, par les enseignants, même quand ce mot figure bien dans les dictionnaires arabes, simplement parce qu’il a le malheur d’être utilisé en arabe parlé, alors que c’est son synonyme qui a l’heur de figurer dans les textes littéraires. C’est un lexique, finalement, bien limité auquel ont droit les auteurs pour la jeunesse. On verra, par ailleurs, certains éditeurs – essentiellement libanais – remplacer petit à petit dans leurs publications les chiffres indiens employés au Moyen-Orient par les chiffres arabes utilisés dans le Maghreb, dans l’espoir de voir augmenter leurs ventes. De même, les noms des mois de l’année qui, dans la région du Machreq, sont un héritage des cultures préislamiques, seront souvent remplacés ou suivis par les désignations des mois employées dans les autres pays arabes, qui sont en fait une prononciation locale des mois occidentaux. La maison d’édition Asala, par exemple, écrira « nisān-abrīl »1 dans un livre racontant l’histoire d’un dessert beyrouthin traditionnellement fait au mois d’avril,حلوة يا مفتّقة  [Bonne la "mouffata’a" (pâtisserie libanaise)] montrant par là à quel point le public ciblé par cette maison peut parfois être davantage le Monde arabe que le Liban. On entendra, d’autre part, les bien-pensants au Liban s’insurger contre le vocabulaire trop poétique et imaginatif de l’auteure et éditrice Nadine Touma qui, par ses écrits, désire « ouvrir le débat sur le choix de la langue arabe dans les livres pour enfants »2. Ces mêmes personnes rejetteront l’emploi fait par Samah Idriss, auteur et éditeur révolté par la calcification de l’arabe, de termes dialectaux ou d’origine étrangère mais tellement bien connus des enfants. L’auteur avait pourtant pris soin, connaissant bien son public, de publier, dans chaque livre, un message à l’adresse des adultes, expliquant l’origine des mots qui risquent de surprendre ou de choquer, en définissant le sens d’après le dictionnaire.

Par ailleurs, la forme écrite de l’arabe standard présente quand même de petites différences orthographiques de part et d’autre des pays arabes. À titre d’exemple, certains mots et certaines règles de grammaire sont traités différemment d’un pays à un autre : la règle de la hamza (ء), variable dans l’orthographe de la région syro-libanaise, est appliquée dans la majorité des pays arabes à l’exception de l’Égypte, où elle est fixe3. De même, la ponctuation de certaines lettres comme le yāʾ (ي) ou la tāʾmarbūta (ة), qui, dans la tradition syrienne, est nécessaire pour éviter la confusion entre deux mots proches, est absente en Égypte où les mots doivent être compris selon leur contexte4 ; ou encore le choix d’un terme parmi les nombreux synonymes dans la langue arabe, choix souvent très différent d’un pays à un autre.

Les enjeux de la diffusion

Malgré ces petites différences, l’arabe standard reste commun à l’ensemble des pays arabes et c’est cette forme de la langue qui permettra aux écrivains maghrébins d’être lus dans le Machreq et vice-versa. Et c’est aussi dans ce même arabe standard que la littérature enfantine est la plus prodigue. Quand un livre est refusé quelque part ou n’a pas le même succès que dans son pays d’origine, cela revient à des différences culturelles plutôt que linguistiques. L’expérience de l’éditeur libanais Dar al-Adab illustre bien ce problème : la vente de ses livres pour enfants, comme ceux des autres éditeurs libanais spécialisés, est très faible dans les pays du Maghreb. Mais après des réticences dues, entre autres, à une forte différence culturelle – une des explications étant, face à un album à grand succès intitulé قصّة الكوسى [L’Histoire de la courgette], que la même histoire concernant un tajine aurait mieux marché au Maghreb –, la Tunisie finit par faire acheter à ses bibliothèques publiques une certaine quantité de livres de Dar al-Adab, probablement suite à un engouement pour le dialecte libanais dû à la diffusion de la chanson libanaise sur les chaînes satellites.

La faiblesse de la circulation de certains livres est souvent due à des causes économiques, les éditions libanaises à titre d’exemple étant beaucoup trop chères par rapport aux éditions égyptiennes, ce qui en limite fortement la diffusion hors de ses frontières. Ce n’est qu’avec l’absence de l’Égypte au Salon international du livre d’Alger (SILA) en 2010 – suite à une querelle entre supporters de football des deux pays rivaux – que les éditeurs libanais purent, pour la première fois, voir leurs ventes monter en flèche en Algérie. Expérience unique qui ne se renouvela pas l’année d’après, alors même que le Liban était invité d’honneur au SILA de 2011, l’Égypte étant de retour.

Le dialectal, langue de publication ?

Publier en dialectal est un choix que peu d’écrivains ou d’éditeurs ont fait dans le Monde arabe. Cela revient dans un premier lieu aux raisons précitées, de marché commun et de différence dialectale. Une autre raison en est aussi le regard dédaigneux porté au dialectal comme forme mineure et déformée de l’arabe standard, donc indigne de figurer dans des livres. Ainsi نورا وقصّتها [Noura et son histoire], un bel album qui traite de l’appartenance à une communauté et qui parut chez Asala à Beyrouth, fut d’abord écrit en dialecte libanais par son auteur, Fatima Sharafeddine, à qui l’éditrice demanda de le « traduire » en arabe standard, par peur qu’il ne soit pas acheté par les écoles et par les autres pays arabes.

Pourtant, dès les années 1970-1980, Dar al-Fata al-arabi, maison d’édition palestinienne spécialisée dans la littérature de jeunesse, publiait depuis Beyrouth les histoires et les dessins d’écrivains venus de différents pays arabes, et prenait des risques. Les textes de Dar al-Fata étaient, en général, en arabe standard, mais cela n’a pas empêché la maison de publier aussi en dialectal. Ainsi parut la série de l’illustrateur et écrivain égyptien Hijazi : تنابلة الصبيان [Les Garçons paresseux]. Cette bande dessinée, écrite en égyptien dialectal, fut diffusée en Égypte, bien sûr, mais aussi ailleurs dans le Monde arabe, et en particulier parmi les Palestiniens, les Libanais et les Syriens, à l’instar du reste des publications de Dar al-Fata, et ce à une époque où les médias et autres satellites n’avaient pas encore commencé à répandre le parler égyptien parmi les Arabes. S’il est difficile aujourd’hui d’en savoir plus sur l’accueil de ces livres par leurs lecteurs de l’époque, il reste clair que pour cet éditeur, le contenu passait avant son véhicule linguistique : ce livre, qui raconte une histoire opposant un peuple opprimé à quelques rois et ministres paresseux, se devait d’être publié, indépendamment de toute considération commerciale.

L’usage de l’arabe dialectal est souvent plus facile pour les éditeurs égyptiens que libanais, par exemple, ne serait-ce que pour des raisons commerciales : il est en effet moins compliqué de vendre un livre imprimé à 3 000 exemplaires en Égypte, où la population s’élève à 80 millions, qu’au Liban, avec ses 4 millions d’habitants. Par ailleurs, et contrairement à l’Égypte, la question d’une littérature dialectale a toujours été un sujet de polémique politique et idéologique assez épineux au Liban, polémique divisant le pays entre nationaux et panarabes. Ce n’est donc que dernièrement que l’édition libanaise de jeunesse a connu quelques expériences notables de publication en dialectal. Ainsi, en 2008, Dar Onboz publie un conte en libanais, سبعة و ٧ [Sept et 7], bel album de grand format et dont le prix, environ quatre fois plus cher que la moyenne d’un livre arabe pour enfants, le rendait quelque peu inaccessible. La même maison avait publié en 2007 شو لون البحر [Quelle est la couleur de la mer], en dialectal aussi, mais grâce à une subvention, le livre avait été distribué gratuitement auprès des enfants. Dans les deux cas, les livres furent accueillis avec enthousiasme par les enfants et par la critique, sans que la langue soit un sujet de débat, probablement parce que l’ouvrage ne mélangeait pas l’arabe standard et le dialectal, se positionnant ainsi clairement comme livre ludique plutôt que comme livre d’apprentissage. Il est à noter que l’éditeur de ces deux livres en est aussi l’auteur.

Les langues minoritaires dans l’édition

Quant aux langues minoritaires, leur problème est davantage politique que linguistique. Dans certains pays, plutôt que la loi du marché, c’est l’État qui peut rendre difficile la publication dans une langue minoritaire. Au Maroc, par exemple, où l’arabe est langue officielle, ce n’est qu’en juillet 2011 que l’amazigh est enfin reconnu comme deuxième langue officielle de l’État, alors qu’il est la langue maternelle de 40 % des Marocains. Mais la reconnaissance de cette langue par le peuple maghrébin commença bien plus tôt, souvent à travers la traduction en français et la publication de contes et poèmes traditionnels. Aujourd’hui, et grâce à un alphabet réinventé, le tifinagh, des livres pour enfants sont publiés en amazigh, souvent bilingues avec le français ou l’arabe. Ainsi, la maison marocaine Yomad publie depuis près de deux décennies des livres pour la jeunesse en français et en arabe, mais aussi en amazigh, avec certains titres parus dans les trois versions. De même, des livres sont publiés en kabyle à Alger, quoique généralement en caractères latins étendus. Si le berbère est parlé ailleurs qu’en Algérie et au Maroc, ce sont, à ce jour, les deux seuls pays à donner une place toujours plus importante à cette langue et à ses ramifications. Et si l’amazigh est utilisé en Libye ou le siwi en Égypte, si d’autres langues minoritaires sont employées ailleurs en Afrique arabophone, comme le peul en Mauritanie, ces pays n’ont pas encore produit de livres pour la jeunesse dans ces langues ou dialectes, l’arabe lui-même étant encore pauvre en littérature enfantine dans certaines régions.

Dans les pays du Golfe, de l’Arabie Saoudite au Koweït en passant par les Émirats arabes unis, c’est l’arabe qui est la langue maternelle et c’est dans cette langue que la littérature enfantine est produite. En 2007, Kalimat, une maison d’édition spécialisée dans la littérature de jeunesse, l’une des rares dans son genre dans les pays du Golfe, ouvre aux Émirats. Puisant dans l’expérience libanaise, Kalimat va même employer une directrice, des écrivains et des illustrateurs libanais, et va publier, en arabe standard, des textes qui seront à l’image des publications de ce pays. Ce n’est que quand la maison sera connue grâce à un catalogue de qualité qu’elle commencera à se tourner vers une création locale, publiant des textes écrits par des auteurs du Golfe et adressés aux enfants de la région. Comptines émiriennes et histoires de foulards seront donc publiées à l’adresse des enfants du Golfe, toujours en arabe standard mais avec un vocabulaire enrichi de particularités régionales qui ne pouvaient figurer dans les premières publications. Ainsi sera publié le conte traditionnel غاية والحنيش [Ghaya et le serpent] album qui sera diffusé dans les Salons du livre de beaucoup de pays arabes et qui attirera particulièrement l’attention par son titre, Ghaya étant un prénom de fille émirienne, et ḥunaych حنيش étant un synonyme de thuʿbān ثعبان ou de ḥayyaẗ حية (serpent) connu aux Émirats. Même si ces livres sont peu lus dans les autres pays arabes pour des raisons de différences culturelles, ils représentent une expérience particulière pour les pays du Golfe, qui, jusque-là, devaient compter uniquement sur les importations égyptiennes et libanaises pour des lectures de qualité.

Alors que l’anglais est largement plus parlé que l’arabe aux Émirats5, et bien qu’il existe des communautés immigrées venant d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, il est rare que des ouvrages dans les langues d’immigration soient publiés localement. C’est donc surtout à une littérature importée que vont avoir accès les enfants non-arabophones.

C’est au Liban qu’il existe une forte tradition d’édition multilingue et multiethnique avec, en particulier, deux minorités linguistiques qui publient assez régulièrement des livres de jeunesse dans leur langue, le syriaque et l’arménien. Ce sont essentiellement des traductions de romans et albums jeunesse du patrimoine mondial qui sont publiées en syriaque, langue sémitique proche de l’arabe, avec pour objet premier la sauvegarde d’une langue fragile. Le cas de l’arménien reste différent, car la littérature arménienne pour la jeunesse qui paraît au Liban s’adresse à des enfants qui pratiquent cette langue en famille comme langue maternelle, et qui souvent l’apprennent à l’école comme langue première, en parallèle avec l’arabe et le français ou l’anglais. L’édition en arménien reçoit souvent des subventions qui permettent aux éditeurs de vendre à prix bas, afin de diffuser la langue et d’assurer sa pérennité, la communauté arménienne du Liban se sentant responsable de la sauvegarde de cet arménien occidental, différent de l’arménien oriental parlé en Arménie. On verra ainsi des traductions, mais aussi des créations modernes. Ces publications ne connaissent qu’une étroite diffusion, et c’est généralement auprès des éditeurs, ou dans des librairies appartenant à des Syriaques ou des Arméniens du Liban, qu’on peut les acquérir, contrairement à la littérature arabe, française ou anglaise, plus largement diffusée dans les librairies.

Par ailleurs, l’utilisation d’une langue minoritaire peut souvent être une source de problèmes dans le Monde arabe, la langue paraissant souvent comme le seul moyen d’unir les peuples. Ainsi les Kurdes ont souvent eu du mal à publier des ouvrages dans leur langue en pays arabe. On verra aussi les Coptes lutter contre la difficulté d’utiliser leur langue en Égypte, en publiant des manuels d’apprentissage de la langue, des dictionnaires ou des livres liturgiques, mais sans s’aventurer vers la littérature.

Les publications dans les langues occidentales

Quant à la publication dans les langues occidentales, c’est surtout en Tunisie, en Algérie, au Maroc et au Liban qu’on va la trouver, avec en particulier des ouvrages en langue française qui racontent l’histoire du pays, ou ses contes et légendes, ou encore les problèmes spécifiques à ses enfants francophones, comme les questions d’émigration et d’identité, en particulier au Maroc et en Algérie. C’est, par exemple, en français que vont paraître les premiers ouvrages sur le patrimoine amazigh au Maghreb. Certaines publications parascolaires, comme chez Samir Éditeur au Liban, privilégient les albums jeunesse en français, dont le public est assuré dans les écoles. De même, certains auteurs, comme la Libanaise Joumana Medlej, préfèrent la langue française ou anglaise pour leurs publications, quitte à les traduire en arabe par la suite.

 

Si un débat sur la modernité de la langue arabe a l’air de s’imposer, il est clair que la résistance au changement reste la plus forte, soutenue par la fidélité à l’idée d’une langue sacrée, intemporelle, unificatrice. Peu d’efforts sont faits pour créer de vrais liens entre la langue arabe et les Arabes. De plus, cette langue, considérée traditionnellement comme très belle et très riche, ne correspond pas au « look » contemporain et rebute les jeunes.

L’ouverture à la langue d’autrui, l’ouverture surtout aux langues des minorités, pose un réel problème. Dans le Monde arabe, c’est bien une sorte de remise en question identitaire qui a l’air de s’ouvrir à travers les écritures minoritaires adressées aux enfants. La littérature de jeunesse du Monde arabe est un domaine encore trop jeune et peu exploré pour que l’on puisse spéculer sur son avenir. Mais l’on peut bien imaginer que l’ouverture des pays arabes les uns aux autres, grâce en particulier aux satellites et à Internet, permettra une meilleure circulation culturelle et une plus grande liberté d’expression.

Notes et références

1. Nīsān est l'équivalent syriaque du nom du mois d’avril utilisé dans la région syro-libanaise et Abrīl est l’adaptation égyptienne de l’anglais April, ou encore l’adaptation maghrébine du français avril.

2. http://www.takamtikou.fr/dossiers/dossier-2010-takam-tikou-a-20-ans/la-maison-d-edition-dar-onboz-une-audace-editoriale

3. À titre d’exemple, le mot mas'ul (responsable) s’écrit مسئول selon l'orthographe égyptienne et مسؤول dans l’orthographe dite damascène.

4. Exemple yāʾ: le prénom Ali s’écrit en syro-libanais علي, alors que l’Égypte supprime les points du ya avec على, créant ainsi un homonyme à la préposition  على– sur. Exemple tāʾmarbūta : l’Égypte écrit pour « école » مدرسه là où la Syrie et le Liban écrivent مدرسة.

5. La moitié de la population des émirats est originaire du sous-continent indien (Pakistan, Inde, Maldives, etc.), le reste provenant des autres pays arabes, d’Iran et d’Asie du Sud-Est (Malaisie, Indonésie, etc.). La langue que toutes ces personnes de différentes origines ont en partage est l’anglais.


Pour aller plus loin

Hala Bizri est bibliothécaire et formatrice. En 2005, elle a rejoint la Bibliothèque nationale du Liban où elle continue à travailler. Son intérêt pour la littérature de jeunesse en langue arabe l’a incitée à faire partie de l’équipe éditoriale de Qiraat Saghira قراءات صغيرة, revue critique libanaise bilingue de livres pour enfants, où elle a publié de nombreux articles et notices critiques. Elle a également participé à des jurys pour sélectionner les meilleurs livres pour enfants et continue à faire des recherches et à animer des formations en littérature pour la jeunesse. Elle prépare actuellement une thèse de doctorat dédiée à l’histoire de l’édition au Liban de 1920 à 1960.


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