Leebon ! Lippon ! Du nouveau dans la littérature sénégalaise pour l’enfance et la jeunesse, en ce début du XXIe siècle
Pourquoi les auteurs sénégalais écrivent-ils pour les jeunes ? Que leur disent-ils ? Comment ? En quelles langues ? Où puisent-ils leur inspiration ? Andrée-Marie Diagne répond à ces questions et constate la nouvelle légitimité et l’épanouissement de la littérature sénégalaise pour la jeunesse.
Takam Tikou1… Quels délices !
Au commencement était La Belle histoire de Leuk-le-Lièvre2
Après l’indépendance du Sénégal en 1960, deux grandes figures féminines écrivent pour les enfants et les jeunes : Annette Mbaye d’Erneville3 et Fatou Ndiaye Sow4. Le temps a passé. Les TIC ont remplacé conteurs et conteuses et leur « Leebon ! Lippon »5. Qui, aujourd’hui encore, se délecte de La Belle histoire de Leuk-Le-Lièvre ? Quels jeunes lecteurs, au Sénégal et en Afrique, connaissent Kacou Ananzé ou Ngando le Crocodile ? Leurs « nuits blanches » ou « soirées pyjama » n’intègrent pas ces récits d’aventures hilarantes et édifiantes…
Écouter contes et devinettes, les pédagogues le savent, c’est apprendre à devenir adulte, découvrir et aimer la culture africaine. Aussi des conteurs modernes ont-ils compris la nécessité de créer d’autres histoires, pour aider la jeunesse à sauvegarder les traditions sans se détourner de la modernité. Voici, dit Mame Aminata6, leur mission : « Tu vas écrire pour les enfants. Pour sauver un peuple, il faut enraciner ses enfants. Si tu ne peux écrire, raconte, je t’inspirerai, je te chuchoterai toutes les beautés de notre culture pour que tu en parles aux petits. Si nous perdons notre culture, c’est notre âme que nous perdrons, notre âme. Nous serons alors perdus.» Leurs créations sont bien de chez nous, parlent de nous à nos enfants, mieux que des livres venus d’ailleurs ou d’époques lointaines. Leur finalité ultime ? Préparer la jeunesse à assumer son avenir, sans perdre son identité.
De 2000 à 2015, notre littérature de jeunesse s’est enrichie d’ouvrages conçus et produits pour la petite enfance, l’enfance, l’adolescence et la jeunesse sénégalaises, avec des thèmes et des personnages propres, une belle langue et des illustrations accessibles à ce jeune public, aujourd’hui adepte d’Internet.
Notre corpus7, sans être exhaustif, se compose essentiellement de textes publiés entre 2000 et 2015, magazines et journaux lycéens exclus, et ciblant la tranche des 3 à 18 ans, âge qui, selon l’UNESCO, inclut « enfance, adolescence et jeunesse ». Ce sont des contes modernes inspirés des récits traditionnels, des récits d’aventures, des dessins à colorier accompagnés de textes, de petites pièces de théâtre ou des nouvelles ; leurs personnages et les aventures sont proches des préoccupations de ce jeune lectorat. La richesse et la variété de ce corpus se voient aussi dans le cadre de vie des personnages, le choix des langues (français, wolof, sérère), les illustrations quadri chromées. Quelles sont ses caractéristiques générales ? Que révèlent le profil des auteurs, le public cible, les thèmes de ces écrits ? Enfin, le style se distingue-t-il par une certaine originalité ? Les réponses à ces questions seront groupées en quatre parties :
I. Le livre d’enfance et de jeunesse dans tous ses états
Notre littérature d’enfance et de jeunesse de ces quinze dernières années se nourrit de deux sources : d’une part, la tradition, source des thèmes, de la structure des récits, des portraits des personnages et de leur univers ; d’autre part, l’impact de la modernité sur les sociétés africaines, singulièrement au Sénégal, où la lutte pour les droits humains, ceux des minorités (enfants, jeunes et femmes), l’urbanisation sauvage, la détérioration du cadre de vie et des relations sociales mobilisent chacun. Quels risques les jeunes courent-ils à vivre leurs rêves de vie, entre dangers et tentations, comme la drogue, la libération sexuelle, la quête facile et effrénée d’argent, etc. ?
Illustré ou non, le récit épouse souvent la structure du conte traditionnel, plongeant le héros dans des situations dont il triomphe par son ingéniosité ou sa générosité. De ces péripéties découlent des leçons d’insertion sociale et d’action. Comme dans Kétama, l’enfant élue8 (G. Ragain et A. Badji), le protagoniste est investi d’une mission capitale pour la survie du groupe ; l’issue, heureuse ou non, de sa mission dépendra de ses qualités morales.
Récits d’aventures, ces livres aux personnages humains et animaux ont une visée didactique : protéger les orphelins, la jeune fille menacée de mariage forcé9, l’environnement - bois et forêts dévastés par d’avides promoteurs touristiques ou régimes tyranniques. Ils sont un vibrant plaidoyer pour un équilibre harmonieux entre les traditions agressées par la modernité et l’impérieuse nécessité de s’insérer dans le village planétaire du XXIe siècle. Même quand il s’inspire des mythes et religions traditionnels (la trilogie Waly Nguilane de Sokhna Benga), de l’Histoire (Mame Fatou Diagne, La Fille du pharaon noir ; Séex Aliyu Ndaw, Guy Njulli) ou des mirages de la ville (Séex Aliyu Ndaw, Ba jaar ganejee kana), le livre est le miroir fidèle d’une société sénégalaise entrée de plain-pied dans la modernité et farouchement attachée à son passé. Ancien représentant de l’UNICEF, Ian G. Hopwood, préfacier de la collection Mouss de Fatou Ndiaye Sow, témoigne :
« En quête permanente de l’adhésion de tous aux instructions juridiques internationales et nationales relatives à la promotion et à la protection des droits de l’enfant, le Gouvernement du Sénégal et l’UNICEF ont mis en place des stratégies de vulgarisation avec la participation de tous les acteurs. C’est dans ce cadre qu’une brochure condensée de onze histoires relatives aux droits de l’enfant a été réalisée en 1998. La réédition actuelle se présente sous la forme d’une collection de onze titres qui ciblent chacun un droit spécifique. »
Le livre d’enfance et de jeunesse remplirait-il les mêmes fonctions que la littérature orale jadis ? Les textes oraux étaient « populaires», c’est-à-dire sans auteur, contrairement aux récits de notre corpus10. Le livre de jeunesse, un pur produit gratuit de l’imagination des auteurs ? Quels objectifs ou intentions ont-ils ? Qui donc a écrit, entre 2000 et 2015, pour l’enfance et la jeunesse sénégalaises ?
II. Les auteurs et les illustrateurs
Une première caractéristique retient l’attention : le profil des auteurs. Quelles professions exercent ces auteurs ? A quelles classes ou catégories sociales se rattachent-ils ?
Beaucoup sont ou ont été enseignants, à l’école élémentaire, au collège, au lycée ou à l’université. Certains, comme Coumba Touré11, sont éducateurs, éducatrices. D’où le ton souvent didactique de leurs écrits. La plupart se sont mis à l’écriture pour combler un déficit, celui de livres adaptés à la jeunesse africaine. Comme Fatou Ndiaye Sow (Takam-Takam et Takam-Tikou)12, ils offrent à leursélèves des poèmes, des contes, des nouvelles et romans qui leur parlent, qui parlent d’eux, de leurs problèmes.Ces éducateurs et éducatrices sont en contact quotidien avec la jeunesse, la forment, l’accompagnent. Parfois éditeurs, ils aiment les beaux livres. Quel dommage de voir dans les mains des enfants certains livres – nous parlons surtout des œuvres intégrales, souvent piratées, au grand dam des maisons d’édition – se détacher en feuillets comme la pâtisserie « mille feuilles », révélant ainsi le peu de soins qu’a coûté leur fabrication. Bien mal acquis, selon l’adage… Heureusement, les ouvrages de notre corpus démontrent une résistance honorable. Leur label de qualité transparaît dans le choix de la couleur, au lieu des illustrations en noir et blanc, moins attirantes pour les enfants.
Nous nous devons de saluer d’un vibrant hommage les illustrateurs, qui ont su rendre les personnages visibles et expressifs, les textes plus faciles à comprendre. Nombreux sont ceux qui, comme Lamine Diémé ou Moustapha Ndiaye, accompagnent la prestigieuse maison d’édition Bibliothèque-Lecture -Développement (BLD)13.
Seuls les textes pour les jeunes (15-18 ans) se passent parfois d’illustrations. Celles-ci sont le plus souvent réalistes, assez proches des vrais portraits d’enfants : l’on se félicite que soient oubliées les caricatures « Ya bon Banania », et qu’en 2016, Léopold Sédar Senghor n’eût plus besoin de s’écrier : « Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France »14. Précisons enfin que le volume des ouvrages illustrés varie entre 20 à 31 pages et que les textes sans illustrations en comptent de 40 à 50.15
Relevons enfin la présence d’écrivains binationaux ou français, espagnols, belges, etc. qui, ayant vécu quelques années au Sénégal, y ont publié des livres pour enfants ou adolescents : Fantah Touré, Anne Piette, Ana Cristina Hereros16…
L’autre constat que nous faisons porte sur l’étroite relation entre de nombreux auteurs et les textes oraux traditionnels – contes, légendes, fables ou devinettes –, essentiels dans le système éducatif africain. Certains des écrivains appartiennent aux grandes familles dépositaires des textes anciens, qu’ils s’approprient pour les sauver et les partager. Ils affichent sans complexe leur filiation, qui leur permet de cerner, mieux que d’autres, les contours de la tradition. La dynamique association des conteurs sénégalais, Leebon-ci-leer, recueille, enrichit et diffuse ces récits, lors des « nuits du conte », devant de jeunes élèves apprentis conteurs et écrivains en herbe. Pour tous les Sénégalais, la référence au sage Kocc Barma17 que fait le titre du recueil de contes de Massamba Gueye, L’Or du sage, ou au titre de Kémado Touré Bouky l’Hyène18, ainsi que la réactualisation d’archétypes sociaux du conte (comme l’orpheline et sa marâtre, l’enfant mal élevé, gourmand et irrespectueux de ses parents et des anciens, l’égoïste, etc.), sont les indices de la permanence de valeurs fortes qui structurent les comportements sociaux sénégalais contemporains.On comprend la présentation enthousiaste de Kémado Touré par Aminata Sow Fall, dans sa préface19 à Pourquoi on ne mange pas la viande de l’hyène, de la collection Les dits d’hier :
« Kémado Touré arrive. Kémado Touré enfin !
Ceux qui le connaissent et ont pu apprécier ses textes l’attendaient impatiemment, sachant qu’il mérite une place de choix dans la société des Gens de Lettres. Des écrivains précisément. Il lui manquait seulement la chance de franchir la barrière de l’édition et l’opportunité de proposer au grand public une production de qualité. Une dizaine d’ouvrages continuellement travaillés, enrichis, approfondis. Presque vingt ans de labeur, avec la rigueur, la modestie et l’émouvante passion qui caractérisent les grands créateurs.
Une belle moisson ! Essentiellement des contes nourris à la sève de nos traditions et recrées avec talent pour donner du sang neuf sans blesser l’honneur d’un genre qui, depuis la nuit des temps constitue pour l’Humanité entière un temple imprenable, une école éternelle d’éducation et d’apprentissage, de culture et d’émerveillement ». 20
La présentation de cette nouvelle collection n’est pas simple rhétorique. Elle a le mérite d’éclairer le modus operandi de l’écrivain sénégalais de jeunesse, de fixer l’horizon d’attente du lecteur averti, du critique littéraire : la littérature d’enfance et de jeunesse n’est point une littérature dite de seconde zone ou « sous-littérature »… Elle a ses exigences, bien perçues par Aminata Sow Fall. Lorsqu’on écrit pour les enfants et les jeunes, l’on se soucie avant tout d’être compris d’eux. Autant dire que la responsabilité de ces écrivains est grande. C’est pour cela que très tôt, ils ont prôné l’utilisation des langues nationales tout en produisant en français, en anglais ou en espagnol.
L’un des pionniers du recours aux langues nationales, Cheik Aliou Ndaw, publie dans plusieurs genres littéraires, mettant sa plume au service d’une satire sociale pleine d’humour, de malice et de profondeur : à travers ses textes inspirés ou non du conte traditionnel, il relève, comme le fabuliste, les tares sociales et individuelles, avec le tact du pédagogue qui amène l’élève à corriger un défaut sans l’humilier.D’autres initiatives méritent d’être soutenues, encouragées, telles les éditions Kalaama, crées en 2001 à Dakar, oules éditions Papyrus/Sénégal de Seydou Nourou Ndiaye, qui publient systématiquement sinon régulièrement en langues nationales –wolof, sereer, pulaar – ou en éditions bilingues. Plus récemment encore, les éditions L’Harmattan, dont la division sénégalaise est dirigée par le Docteur Abdoulaye Diallo, a lancé sa collection de bandes dessinées, offrants aux jeunes Africains de nombreux titres.
Le problème du financement et des circuits de distribution reste le point névralgique des maisons d’édition. Elles ont tout au moins le mérite de rapprocher les auteurs des lieux d’édition, de fabrication et de distribution du livre, luttant pour l’autonomie et l’indépendance de la production du livre sénégalais face aux grandes maisons étrangères.
Écrire et publier, au Sénégal, des ouvrages de qualité pour la jeunesse ? Oui, mais qui achètera ces ouvrages ? À quels coûts les proposer sans risquer de tomber en faillite ?
III. Le public cible
Dès que l’enfant sait « déchiffrer » son environnement, ou, comme Bébé/Nenne Amine (Lamine Diémé), le visage maternel, il est bon de le familiariser avec le livre et d’inciter la petite enfance à lire. La tâche des parents est aujourd’hui facilitée par la qualité des produits offerts à chaque tranche d’âge, de 3 à 16 ans. Certains auteurs (Mariama Ndoye, Fatou Ndiaye Sow, Seydou Sow), et certaines collections (chez Oxyzone, NEAS) précisent l’âge des lecteurs. Car l’écrivain veille à la réception de son texte, à sa lisibilité : accessibilité du lexique, registres de langue, illustrations et trame des récits. Il ne faut ni choquer ces jeunes lecteurs, ni leur « fourguer » des ouvrages mal conçus, mal imprimés. Un récit bien construit, de belles illustrations – ni caricaturales, ni monotones – et du papier de qualité feront du livre un compagnon agréable et respecté. De nombreux auteurs, parce que conteurs, associent l’écrit à l’audiovisuel, distribuant des cassettes avec les livres en éditions bilingues ou trilingues : ils prennent ainsi en compte la diversité linguistique et culturelle qui caractérise le cadre de vie familiale ou scolaire de beaucoup d’enfants sénégalais. En effet, dans nombre de villes africaines et sénégalaises, plusieurs langues coexistent, sans constituer pour autant un traumatisme pour l’enfant : la ou les langues maternelles de ses parents, la langue du milieu, qui en diffère parfois, enfin, la ou les langues utilisées ou apprises à l’école.
Le héros/l’héroïne de littérature d’enfance et de jeunesse « habite plusieurs langues21 » et plusieurs espaces : d’où la récurrence du thème du voyage, qu’il soit onirique, initiatique ou non, dans ces récits. L’on pourrait alors reprendre l’adage : « Dis-moi ce que tu lis, et je te dirai qui tu es... »
IV. Voyage dans l’univers du livre d’enfance et de jeunesse : thèmes, valeurs, figures humaines
La question du « réalisme » de l’univers des livres d’enfance et de jeunesse se pose en termes de constats : rares y sont les textes d’anticipation, de science-fiction. L’univers fictionnel des personnages semble cependant ambigu, dans le sens où Samba Diallo, le héros de Cheikh Hamidou Kane dans L’Aventure ambiguë22, se disait malheureux d’être déchiré entre ses traditions et sa religion d’une part et, d’autre part, ce qu’il recevait de l’Occident. Parfois, l’histoire se déroule au village, loin des grandes métropoles, mais où les échos des « combats » de la modernité, qui prend d’assaut l’Afrique, pour ne pas dire ses « coups de boutoir » sont ressentis23. Il s’agit dans les livres de jeunesse de s’initier à la gestion et à la protection de l’environnement infesté, dans les bidonvilles, par l’insalubrité, la promiscuité, la proximité des décharges publiques, comme dans Asmala l’Asticot d’Awa Ndir Seck. Dans cet espace citadin que découvrent les rats dans Ba jaar ganejee kana de Séex Aliyu Ndaw, les violences secrétées par la ville – agressions, alcoolisme, MST et autres déviances – auxquelles s’ajoutent celles de l’excision, de la guerre civile et de l’émigration donnent la mesure des risques qu’affrontent ces jeunes héros et héroïnes. Le réel malaise, car malaise il y a dans cet univers de fiction, chez les personnages et même dans l’espace-cadre de vie, vient de ce que ce monde est pris, tout comme celui réel des adultes, dans l’étau de la tradition et de la modernité. L’enfant n’y jouit pas de sa pleine liberté : il obéit à ceux qui dirigent la société ; les récits montrent les périls de toute rupture d’avec les adultes et anciens. Ignorer la hiérarchie des générations dans la société africaine, comme la jeune fille difficile et capricieuse du conte, tenter, sans « objets magiques », des escapades solitaires (Des papis pas possibles, Le Mal de Sindakh, Ibrahima Diop), c’est mourir à coup sûr. Cependant, le livre de jeunesse reste un Éden où les personnages conservent encore le goût du lait maternel, même si les orphelins y sont victimes de leurs marâtres, comme le personnage de Singali, roman en français et en wolof de Séex Aliyu Ndaw. Mais contrairement à Coumba l’orpheline de Birago Diop ou à sa sœur Aïwa de Bernard Dadié24, leur innocence les préserve des dangers extérieurs comme de l’indifférence à l’égard des bêtes et des plus faibles (Moi, Sirou, chat sénégalais de Mariame Kanté, avec la petite Soukey, amie et protectrice ; L’Âne de Baay Fleurs de Seydou Sow ; Màtt Fel Teen ak seeni jaar-jaar et Singali de Séex Aliyu Ndaw).
Le Sénégal étant signataire des principales conventions relatives aux droits des catégories vulnérables (femmes, enfants, handicapés), nos écrivains sont soutenus dans leurs combats de sensibilisation pour la défense de ces droits ; à ce titre les maisons d’édition pour l’enfance et la jeunesse ont bénéficié d’aides à l’édition par l’État sénégalais. Éducateurs, les auteurs réinjectent dans leurs textes la saveur du conte, « futile, utile et instructif »25. Car ils savent séduire leur jeune public par la force de leur parole, la vérité et l’originalité des portraits et des illustrations, enfin, par leur renouvellement du merveilleux du conte. Souvent, leurs récits abordent avec légèreté, c’est-à-dire, par la caricature, le rire et l’humour, des questions qui feraient couler des ruisseaux de larmes. Le fait nouveau, et il faut en féliciter Nara éditions26 créées par deux jeunes femmes, c’est que des adolescents et des jeunes commencent à publier : les enseignants et les animateurs d’ateliers d’écriture ne sont pas étrangers à cette « prise de la plume et du clavier » par les ados, car qui saurait mieux parler d’eux ?
Quoi de nouveau au Sénégal, en matière de littérature pour l’enfance et la jeunesse, nous demandions-nous à l’entame de ce bilan de quinze ans?
Aya de Yopougon est une vedette, pas seulement en Côte-d’Ivoire, mais dans tout l’espace francophone. La situation du Sénégal n’est pas l’exception, loin s’en faut, par rapport au constat de Raymond Perrin dans Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle27 : « la littérature d’enfance et de jeunesse et la presse des jeunes ont aujourd’hui acquis une légitimité telle et un succès si évident qu’elles semblent avoir rejeté dans les oubliettes de l’Histoire ce qu’on appelait naguère, avec quelque mépris ou condescendance, «les livres pour enfants » et « les illustrés ». Au Sénégal, il y a quelques décennies, les « librairies-par-terre » et les kiosques à l’angle des marchés de quartiers permettaient aux enfants de satisfaire leur soif d’évasion en achetant très peu cher ou en échangeant ce que les jeunes appelaient « les aventures » : Zembla, Akim, Tex Willer, Tarzan, Capitaine Miki, Davy Crocket28 et autres héros à la vie palpitante, exaltante… Aujourd’hui, des noms bien de chez nous sont là pour les jeunes esprits : aux côtés de Kothie Barma, Leuk-le-Lièvre, Bouki l’Hyène, nous avons Fadia, Waly Nguilane, Sirou, Awa, Mara, Noko..., attachants, intelligents, persévérants, perspicaces, inoubliables. C’est de la sève de leurs vies et de leurs aventures que se nourrit l’imaginaire des enfants, des jeunes qui ont besoin de transformer et réaménager un monde qui soit le leur. Ils seront tenus en haleine par ces aventures, et sensibilisées à des causes qui méritent de se voir consacrer une vie… La littérature d’enfance et de jeunesse sera le levain de ce monde de demain.
Notes et références
1. « Takam-Tikou », onomatopée semblable à un claquement de langue, de satisfaction. †
2. Léopold Sédar Senghor et Abdoulaye Sadji, La Belle histoire de Leuk-Le-Lièvre. Édicef, 1953. †
3. Annette Mbaye d’Erneville, Chansons pour Laïty. Ill. Cheickh Ndime. NEAS, 1976. La Bague de cuivre et d’argent. Ill. Josué Daïkou. Les Nouvelles éditions africaines/Agence de coopération culturelle et technique, 1983. Le Noël du vieux chasseur. Ill. Josué Daïkou. Les Nouvelles éditions africaines/Agence de coopération culturelle et technique, 1983. Picc, l’oiseau et Lëpp Lëpp le papillon. Ill. Daouda Diarra. Nouvelles éditions africaines du Sénégal, 2003. †
4. Voir les ouvrages de Fatou Ndiaye Sow publiés avant 2000 dans Takam Tikou n°12. Pour ses ouvrages publiés après 2000, voir la Carte de la littérature africaine francophone pour la jeunesse. †
5. « Leebon ! Lippon », formule rituelle par laquelle le conteur s’adresse à son auditoire qui lui répond, avant de commencer à raconter. †
6. Babakar Mbaye Ndaak, La Souris qui vole : contes et récits. Teham, 2015, p 14. †
7. Voir « Pour aller plus loin » en fin d’article. †
8. Les références bibliographiques des titres cités se trouvent en fin d’article, dans « Pour aller plus loin ». †
9. Sur le mariage forcé : Serigne Bamba LY, Dieynaba et Mariama (ada2015) ; Fatou Ndiaye Sow, Le mariage de Ndella (NEAS 2003). †
10. À l’exception des deux textes produits en ateliers d’écriture (dirigés par Fatou Kéïta), collectifs, donc « sans auteur », ils rejoignent les textes oraux traditionnels. †
11. Kumba Toure, ill. Moustapha Ndiaye, trad. en wolof Maam Daour Wade, Les Jumeaux de Diyakunda. Bilingue français-wolof. Falia-Editions-Enfance, 2002. †
12. Fatou Ndiaye Sow, ill. Djibathen Sambou, Takam-Takam: "Devine, mon enfant devine". Les Nouvelles Editions Africaines, 1981. Fatou Ndiaye Sow, ill. Ibou Guèye, Takam-Tikou, j'ai deviné. Nouvelles éditions Fulgore, 1988. Takam-Tikou : J’ai deviné. Ill. M. Taofik Atoro. Le Flamboyant, 1993. Takam-Tikou : « J’ai deviné ». Ill. Annick Assémian. Nouvelles Éditions Ivoiriennes, 1997. †
13. BLD, outre une maison d’édition, est une association dont la haute mission est de rendre le livre et la lecture présents dans les quartiers périphériques et les banlieues, voire dans les villages avec le bibliobus. La Directrice de BLD, Mme A. Fall Corréa, a mis à notre disposition les titres que nous n’avions pas encore, tout commele Goethe Institut de Dakar qui, en partenariat avec des spécialistes du livre pour l’enfance et la jeunessecomme Mme Mariétou Diongue Diop, innove avec des projets associant mère et enfant dans l’éclosion du goût pour la lecture. †
14. L. S. Senghor(1948),« Poème liminaire » in Hosties noires, Seuil, 1948. †
15. Le recueil de contes de Tombon Soly, Autour du feu de nuit (L’Harmattan /Sénégal, 2011), dépasse la centaine de pages, sans illustrations. †
16. Ana Cristina Hereros, ill. Daniel Tornero, El Dragon que se comió el sol y otros cuentos de la Baja Casamance, 2016. †
17. « Kothie (ou Kocc) Barma est considéré comme le plus grand philosophe wolof, qui n’est pas prêt d’être oublié malgré les trois siècles qui nous séparent de lui » (Assane Sylla, La Philosophie morale des Wolof. Sankoré 1978. †
18. Leuk-le Lièvre et Bouki-l’Hyène, équivalents du Loup et du Renard, sont les deux compères les plus célèbres des contes traditionnels wolof. †
19. Préface, p. 3. †
20. En référence à la phrase d’Emil Michel Cioran « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. », dans Aveux et anathèmes, Gallimard, 1986. †
21. R. Juillard, 1961. †
22. Un autre exemple de ce tiraillement se trouve dans Dieynaba et Mariama de Serigne Bamba Ly. †
23. Birago Diop, « La Cuiller sale » dans Les Contes d’Amadou Koumba. Bernard Dadié, « Le Pagne noir » dans Le Pagne noir, Fasquelle, 1947. †
24. Amadou Hampâté Bâ, Kaïdara. Les Classiques africains, Julliard, 1969, p. 21. †
25. Nara Editions : quatre titres en 2015 (Marietta Fall, Cathy ; Aïcha Alima Cissé, Au-delà des limites ; Elodie Malika Gnonlonfoun, Pardon, maman ; Guédel Boubacar Ndiaye, À la merci de la rue) et d’autres en préparation. †
26. Raymond Perrin, Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle. Esquisses d’un état des lieux. Enjeux et perspectives. L’Harmattan, 2007. †
27. Il s’agit de personnages des bandes dessinées italiennes traduites en français, vendues au Sénégal dans les années 1975 à 1995. †
Pour aller plus loin
Andrée-Marie Diagne-Bonané
Née en 1950 à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, Andrée-Marie Diagne-Bonané est burkinabè et sénégalaise. Elle est titulaire de Maîtrises de Philosophie et de Lettres (Université Bordeaux III) et d’un doctorat de 3è cycle (Université de Dakar).
Elle a suivi la formation pédagogique de l’ENS de Dakar et a été enseignante au lycée et à la FASTEF (Faculté des Sciences et Technologies de l’Éducation et de la Formation, ex ENS de Dakar) et Inspectrice générale de l’Éducation nationale. Elle a co-écrit des manuels scolaires, et est Présidente d’honneur et membre fondateur de l’Association Sénégalaise des Professeurs de français. Elle a été chargée de mission auprès du Président de la Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF) pour l’Education des Filles et la Formation des Femmes en Afrique (REPROF-EFFA).
Andrée-Marie Diagne-Bonané est l’auteure d’un recueil de nouvelles, La Fileuse d’amour (L’Harmattan, 2013). Elle animé des revues et des émissions littéraires. Elle a reçu les Palmes académiques françaises et l’Ordre national du Lion du Sénégal.
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—, Le Temps a une mémoire. Les Souris jouent au chat. Oxyzone, 2007. 132 p.
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