Éditer ensemble

Par Laurence Hugues, Directrice de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants
Photographie de Laurence Hugues

Éditer ensemble pour partager des projets, les concevoir collectivement, mutualiser les coûts, faciliter la circulation des textes d’un pays à un autre, permettre à tout un chacun d’avoir accès aux livres : depuis 20 ans, des maisons d’édition à travers le monde coéditent solidairement des livres, un moyen de renforcer et de garantir la bibliodiversité.

Genèse des coéditions solidaires

Les coéditions solidaires naissent dans les années 1990, avec la « Bibliothèque interculturelle », un projet ambitieux porté par le programme Interculturel de la Fondation Charles Léopold Mayer. Il s’agissait de faire se rencontrer des auteurs, des éditeurs, des traducteurs de tous les continents – pour essayer de construire des ouvrages traitant de façon interculturelle (en multipliant les points de vue d’auteurs issus de différentes cultures) des sujets donnés, sur de grands enjeux contemporains. Dans ce sillage, plusieurs collections internationales sont initiées, comme « Proches lointains » – une collection littéraire franco-chinoise – ou comme la collection « Keywords », une série de livres sur les mots-clé du dialogue interculturel.

C’est à travers ces projets internationaux qu’un réseau d’actrices et acteurs engagé.e.s se constitua… donnant naissance en 2002 à l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Lors de la première rencontre internationale de l’Alliance, en 2003 à Dakar, ce réseau humain de solidarité est ainsi formé, défendant l’édition indépendante et promouvant la bibliodiversité. Les éditeurs et éditrices réuni.e.s décident de s’organiser en réseaux linguistiques, dans le prolongement naturel des projets éditoriaux dans lesquels certains sont impliqués. Cette organisation par « langue de publication » a pour vocation de faciliter les processus de coédition, de les encourager. Elle est toujours présente au sein de l’Alliance, complétée depuis quelques années par une organisation en groupes thématiques selon une logique de catalogue (en littérature de jeunesse, en sciences humaines…) – permettant là encore aux éditrices et éditeurs de se retrouver sur des projets éditoriaux ciblés, d’échanger des savoir-faire autour de leurs spécialités.

Que ce soit au sein de la « Bibliothèque interculturelle » d’abord, puis dans l’Alliance, les projets de coopération s’articulent donc très concrètement autour de la notion de coédition : faire un livre à plusieurs éditeurs, de pays différents, en mutualisant un manuscrit – voire l’impression et les outils de promotion. Cette volonté de « produire ensemble » dans le respect des spécificités de chacun est à la base même de toutes les coéditions solidaires. L’exigence de solidarité, en particulier entre éditeurs «  qui peuvent le plus » et ceux « qui peuvent le moins » n’a cessé, depuis les premiers projets, d’être affinée et précisée.

Le livre équitable

En 2003, dans le sillage des collections préexistantes, fort d’une habitude de travail collective et désireux de poursuivre « une aventure éditoriale sans précédent1 », les éditrices et éditeurs créent, au sein de l’Alliance, la collection « Enjeux Planète ».

 

Les batailles de l'eau« Pour publier des livres qu’ils aiment et montrer que l’on peut "éditer autrement", pas moins de douze éditeurs francophones indépendants (en Afrique subsaharienne, au Canada, au Maghreb et en Europe) ont décidé de s’associer pour coéditer cette collection. Le choix des titres coédités est effectué à douze. Le travail éditorial, le suivi de fabrication et d’impression sont réalisés tour à tour par chacun des coéditeurs, puis les livres sont imprimés en une seule édition et expédiés ensuite aux douze éditeurs. Une règle de péréquation permet aux éditeurs d’Afrique subsaharienne et du Maghreb de ne supporter que des coûts très inférieurs à ceux pris en charge par les éditeurs du Nord. Ainsi, les mêmes livres sont vendus 15 euros en France, mais 8 euros au Maroc et 5 euros au Cameroun. Cette répartition des coûts selon les zones géographiques fait de la collection "Enjeux Planète" une expérience pionnière de commerce équitable dans le domaine du livre. Les 12 éditeurs francophones partenaires de cette collection : les éditions Cérès en Tunisie, Ruisseaux d’Afrique au Bénin, les Presses Universitaires d’Afrique au Cameroun, Écosociété au Canada, Éburnie en Côte d’Ivoire, les éditions de l’Atelier et Charles Léopold Mayer en France, Ganndal en Guinée, Jamana au Mali, Tarik au Maroc, les éditions du Silence au Gabon et les éditions d’en bas en Suisse2 ».

Logo le livre équitableLes titres de la collection portent le label « Le livre équitable », créé par l’Alliance et attribué à des ouvrages publiés dans le cadre d’accords éditoriaux internationaux respectueux des spécificités de chacun : les coéditions solidaires. Onze titres ont ainsi été publiés au sein de la collection « Enjeux Planète » entre 2003 et 2006 ; les tirages avoisinaient les 10 000 exemplaires par titre. Certains ont été traduits en portugais, en anglais, en arabe, et coédités à leur tour par des maisons d’édition portugaise et brésilienne, des maisons d’édition anglophones ou encore des maisons d’édition tunisienne et libanaise…

La collection s’arrête en 2006, après plusieurs réunions entre les coéditrices et coéditeurs, qui en dressent le bilan. Si le principe collectif, de solidarité, qui animait la collection demeure pour l’ensemble des coéditeurs une expérience unique, les résultats économiques sont mitigés. Les titres d’« Enjeux Planète » s’écoulent plus facilement dans les pays « du Sud », où la concurrence sur ce genre de titres est moindre. En revanche, pour les coéditeurs « du Nord », les stocks se vendent moins bien, étant dilués dans l’offre plus abondante en sciences humaines et sociales. La « surproduction », si elle est un enjeu en France, et plus largement dans les pays du Nord, est une réalité qui n’existe guère dans les pays du Sud, l’enjeu étant davantage celui de la présence de livres importés (voire celui des dons de livres), qui peut parfois venir concurrencer les productions locales.

De fait, le principe de péréquation mis en place, permettant aux éditeurs en Afrique francophone de vendre les titres aux prix les plus adaptés possibles pour leurs lecteurs, atteint ses limites : les éditeurs du Nord peinant à trouver un équilibre financier de leur côté.

Les coéditions solidaires Sud-Sud : la collection « Terres solidaires »

En 2006, Étienne Galliand, alors directeur de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, se rend au Salon africain du livre de Genève et rencontre Véronique Tadjo, autrice ivoirienne, dont le dernier livre, L’Ombre d’Imana, vient d’être publié par Actes Sud. Un témoignage poétique, bouleversant, quelques années après le génocide du Rwanda. Véronique Tadjo aimerait que ce texte puisse circuler, être lu par des Ivoiriens, des Rwandais… par des lecteurs en Afrique francophone. L’aventure commence ainsi : une rencontre, des textes qui bouleversent, la volonté de les faire circuler. Actes Sud accepte tout de suite la proposition et cède les droits de L’Ombre d’Imana à l’Alliance, qui garantit que le livre sera ensuite coédité dans plusieurs pays en Afrique francophone, à un prix adapté aux lecteurs. C’est un succès, la coédition réunit huit maisons d’édition (Côte d’Ivoire, Bénin, Tunisie, Cameroun, Gabon, Burkina Faso, Sénégal et Rwanda) ; le livre, tiré à 5 000 exemplaires, est rapidement épuisé, un retirage est même réalisé pour la Côte d’Ivoire.

C’est la création de la collection « Terres solidaires ».

Munyal« La collection "Terres solidaires" est née en 2007, pour favoriser la circulation de la littérature africaine dans l’espace francophone. Les maisons d’édition qui participent à la collection sont basées en Afrique subsaharienne et en Afrique du Nord. Initialement créée pour rééditer des textes écrits par des auteurs africains édités en France, et les rendre, grâce au processus des coéditions solidaires, accessibles auprès du lectorat africain, elle est désormais ouverte à la réédition de textes parus en premier lieu au catalogue de maisons d’édition africaines. C’est le cas de Munyal, les larmes de la patience, de Djaïli Amadou Amal, 13e titre de la collection, originairement édité en 2017 par les éditions Proximité basées à Yaoundé, au Cameroun »3 .

En 2021, la collection compte 14 titres dont un 15e en cours. Les logos des coéditeurs sont systématiquement valorisés en quatrième de couverture. Les tirages varient d’un titre à l’autre, de 1 400 exemplaires à 5 000 exemplaires. Depuis la création de la collection, 19 éditrices et éditeurs africain.e.s ont pris part à au moins un des titres de la collection ; 16 maisons d’édition françaises ont été approchées et impliquées dans la collection. La coordination éditoriale de la collection est assurée par l’équipe salariée de l’Alliance, du choix des textes à leur arrivée à bon port, dans chacun des pays des coéditeurs. Au vu de la mécanique complexe de ces projets, la publication d’un titre dans la collection « Terres solidaires » prend au minimum une année.

Modèle économique

Le modèle économique des coéditions solidaires repose sur une mutualisation entre les maisons d’édition de l’ensemble des coûts relatifs à un projet. Les postes de dépenses sont additionnés : achat de droits, maquettage, impression, transport, frais de dédouanements des livres, frais de coordination, de promotion… Si un soutien est trouvé pour un projet (pour la collection « Terres solidaires » par exemple, les titres sont soutenus par l’Organisation internationale de la Francophonie), il est déduit de l’ensemble des dépenses. La part restante est divisée au prorata du nombre d’exemplaires que chaque coéditeur s’est engagé à prendre. Les prix de vente de chacun des titres de la collection sont décidés en amont entre les coéditeurs, en fonction du pouvoir d’achat moyen de leur lectorat et du prix des autres productions de leur catalogue.

Une mécanique collective, à distance, en évolution constante

Comité de lecture

Concrètement, la première étape est celle du choix des titres édités, d’année en année. Un comité de lecture est mis en place dès la création de la collection et réunit des professionnels du livre africains.

Contractualisation

Une fois le titre choisi par le Comité, le processus commence : d’abord la cession de droits avec l’éditeur propriétaire des droits, puis le contrat de coédition entre les coéditeurs, indiquant les maisons d’édition impliquées, leurs pays de diffusion, leurs prises respectives ; stipulant la répartition des tâches entre chacun, les engagements de toutes et tous.

Maquettage
 

Couverture de L'Ombre d'ImanaCouverture de l'Ombre d'ImanaLe maquettage de la coédition est assuré par un des coéditeurs (à partir d’une maquette source, créée par les éditions Barzakh, et utilisée collectivement par les coéditeurs). Une des phases les plus sensibles est celle du choix de la couverture : comment se mettre d’accord sur une couverture unique, qui corresponde aux sensibilités et « codes » d’autant de pays ? Les couvertures retenues sont souvent très éloignées de celles de la version originale quand l’édition première est française.

 

 

 

Impression et transport

Le choix du lieu d’impression est fait au cas par cas et évolue d’année en année. Il y autant de scénarios d’impression et de transport que de projet : chaque titre est étudié et des alternatives sont trouvées au fur et à mesure des expériences passées. Les premiers titres de la collection étaient imprimés en un lieu unique (souvent en Algérie), puis dispatchés dans chacun des pays des coéditeurs, par avion, parfois par bateau. Un processus coûteux et très complexe.

Au fil des projets et de l’évolution des capacités d’impression localement, les points d’impression se sont multipliés.

Le titre Munyal, les larmes de la patience de Djaïli Amadou Amal a par exemple été imprimé dans trois lieux d’impression différents : une impression au Cameroun, pour l’éditeur camerounais ; une impression au Maroc, pour la maison d’édition marocaine ; une impression en Algérie, pour l’ensemble des autres coéditeurs. Le tirage imprimé en Algérie a ensuite été envoyé par avion en Côte d’Ivoire (pour la maison d’édition ivoirienne) et au Mali (pour la maison d’édition malienne mais aussi les maisons d’édition de Guinée, du Togo, du Burkina Faso et du Bénin). L’éditeur malien a ainsi réceptionné un lot d’exemplaires, qu’il a, à son tour, dispatchés dans les quatre autres pays, via… bus. Des compagnies de bus assurent en effet des liaisons fréquentes entre Bamako, Conakry, Lomé et Cotonou. Les cartons de livres ont été remis aux compagnies de bus, pour être acheminés par voie routière… et être réceptionnés à leur arrivée, par les éditrices et éditeurs. Ce système, le plus économique qu’il soit à l’heure actuelle, évite des complexités douanières, des frais de stockage et surtout… des aléas et négociations avec les transitaires et douaniers.

Intelligence collective et confiance

L’ensemble de ces étapes se passe à distance, par mail, téléphone, WhatsApp… avec les contraintes de toutes et tous (coupure d’électricité, Internet à bas débit, crise politique, problème de fourniture d’encre…), qui sont loin d’être anodines, qui font partie de l’aventure humaine de ces coéditions. Impossible de pressuriser un des coéditeurs quand il n’a plus de courant ! Impossible aussi de relancer un autre quand on sait qu’il se réveille aux lendemains d’élections présidentielles, dans un climat de violence et d’incertitudes. Il s’agit donc de s’adapter, d’arrondir les angles, de faire patienter, il s’agit surtout d’une intelligence collective qui s’est mise en place de manière naturelle au fil des ans et des projets. Evidemment, il y a parfois des accrocs, des incompréhensions, mais jamais de rupture – et cela vient d’un facteur clé : la confiance.

Solidarité avec les libraires

Depuis 2007, les contrats de coédition solidaires se sont dotés d’un article supplémentaire, insistant sur la solidarité nécessaire entre les éditeurs et les libraires pour la diffusion et la commercialisation des ouvrages, dans le but de renforcer les liens entre les différents maillons de la chaîne du livre et de consolider le réseau des librairies dans les pays.

Comme en atteste une libraire au Bénin dans une interview, la collection est aujourd'hui bien identifiée par les libraires africains : « Soulignons également les actions de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants qui développent des projets de coédition dont l’objectif consiste à "rapatrierʺ les auteurs africains à succès édités à l’étranger dans des maisons d’édition africaines afin de s’approcher, un tant soit peu, d’une économie du livre plus équitable4. »

Sensibilisation des auteurs

Dès 2005, l’Alliance lance un « Appel aux auteurs, aux éditeurs et aux institutions francophones », invitant entre autres les auteurs africains « habituellement publiés en France à réserver parfois quelques-uns de leurs textes à des maisons d’édition africaines ou à favoriser des projets de coédition entre éditeurs du Nord et éditeurs africains ». Depuis, l’idée s’est diffusée, comme en témoigne par exemple la tribune « Il faut rendre son indépendance à la littérature africaine », signée du Front de libération des classiques africains, parue dans journal Le Monde début novembre 20195 ou encore le travail entrepris par la Rentrée littéraire du Mali sur la question de la restitution du patrimoine intellectuel africain.

Depuis l’aventure de L’Ombre d’Imana, Véronique Tadjo6 réserve ses droits pour l’Afrique lorsqu'elle signe un contrat avec un éditeur français. Le principe de coédition Nord-Sud s’avère en effet intéressant pour les auteurs, qui gardent la possibilité d’être édités dans les pays du Nord tout en rendant leurs œuvres disponibles dans leur pays d’origine à prix adapté pour les lecteurs.

Tournée de Mutt-Lon au TogoL’auteur Mutt-Lon, suite à la publication dans la collection « Terres solidaires » de Ceux qui sortent dans la nuit, et d’une tournée promotionnelle en Algérie, au Sénégal, en Guinée Conakry et au Togo, déclarait pour sa part :

« L’édition africaine a toujours trimbalé ses éternelles tares qui sont le défaut de distribution et l'absence de promotion. Les livres publiés par les éditeurs du continent, très souvent à compte d'auteur, ne sont disponibles nulle part. Ceux des auteurs africains ayant quelque ambition se trouvent obligés d'aller courir le contrat à compte d’éditeur à Paris, et l’infime minorité qui y parvient attend désespérément d’être distribuée en Afrique, pour qu’à la fin le livre arrive affublé d'un prix prohibitif. Ainsi naît le cercle vicieux que la collection "Terres solidaires" a entrepris de briser, au grand soulagement de nous autres qui avons vu nos œuvres y accéder. Avec ce que j'ai vécu tout au long de cette tournée, où mes lecteurs m’ont carrément traité en rock star, je me prends à rêver d’un avenir radieux pour l’édition africaine. Tout n’est pas perdu. Le lectorat est là, bien présent, c’est le livre qui gagnerait à mieux circuler. »

Pour son dernier roman, Les 700 aveugles de Bafia, paru en 2020 aux éditions Emmanuelle Colas en France, Mutt-Lon a réservé les droits pour l’Afrique francophone – permettant ainsi à plusieurs maisons coéditrices de Ceux qui sortent dans la nuit de publier ce titre dans la collection « Terres solidaires », en contractualisant directement avec Mutt-Lon.

Coéditions panafricaines de collections de littérature jeunesse

Les habitudes de travail collectif et le principe des coéditions solidaires sont également très ancrés en littérature de jeunesse. Ainsi et dès les années 2000, plusieurs collections panafricaines voient le jour : « Le serin », destinée à des enfants à partir de 2 ans et « La libellule », destinée aux enfants à partir de 7 ans.

Nées à l’issue d’ateliers d’illustrateurs organisés par les éditions Ruisseaux d’Afrique au Bénin, ces coéditions réunissaient les éditions Cérès en Tunisie (sous l’impulsion de Noureddine Ben Khader, grande figure de l’édition tunisienne et africaine, décédé en 2005), Éburnie en Côte d’Ivoire, Ganndal en Guinée-Conakry et Ruisseaux d’Afrique au Bénin. Elles proposaient 23 titres chacune en 2007.

Depuis, les partenariats entre maisons d’édition se poursuivent. En 2007, un groupe d’éditeurs jeunesse (composé principalement de maisons d’édition en d’Afrique francophone) est mobilisé au sein de l’Alliance autour de plusieurs activités : stands collectifs (Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2007, 2009, 2011) ; fonds tournant d’ouvrages jeunesse édités en Afrique dans des librairies franciliennes (2013)7 ; atelier visant à favoriser la présence des éditeurs jeunesse africains sur le marché des droits internationaux, en partenariat avec la Foire du livre pour enfants de Bologne en 2013 ; atelier entre éditeurs ouest-africains, portugais, brésiliens et sud-africains en Afrique du Sud en 2014 ; échanges d’expérience sur les questions d’illustration et de graphisme dans le cadre d’ateliers menés en 2015 et 2016.

Couverture de Les cheveux de CoraCes différentes activités ont abouti très concrètement à des projets éditoriaux entre éditeurs d’Afrique, du Brésil, d’Europe, d’Afrique du Sud : traductions, cessions de droits, coéditions8. Des échanges se développent également avec des éditeurs français : entre 2016 et 2019, des projets de cession et de coédition ont été réalisés entre l’École des loisirs (France), les éditions AGO Média (Togo) et Ruisseaux d’Afrique (Bénin) ; entre les éditions Circonflexe et Belin (France) et les éditions Jeunes malgaches (Madagascar).

C’est dans le prolongement de ce travail de longue haleine que l’Alliance a mis en place un atelier sur l’édition de littérature jeunesse en Afrique francophone lors du Salon International du Livre d’Abidjan (SILA), du 13 au 20 mai 2019. Cet atelier se tenait dans le cadre des Assises internationales de l’édition indépendante 2019-2021 organisées par l’Alliance. Parmi les projets éditoriaux nés à l'issue de cet atelier, quatre coéditions ont été développées et publiées en 2019 (avec le soutien de l’Agence française de développement).

  • Couverture de la Forêt sacréeLa forêt sacrée, de Nicolas Condé (texte) et Irina Condé (illustrations), 2e lauréat du Prix Hervé Gigot de l’illustration de livre jeunesse en Afrique.
    Irina Condé est une autrice et illustratrice fétiche des éditions Ganndal en Guinée qui l’ont incité à se présenter au Prix Hervé Gigot, puis se sont naturellement lancées dans le leadership de cette coédition, tout en prenant soin de mener un processus éditorial extrêmement participatif, avec les éditions Ruisseaux d’Afrique (Bénin), Ntsamé (Gabon), Graines de Pensées (Togo), Éburnie (Côte d’Ivoire), Elondja (Congo Kinshasa). Les éditions Yomad au Maroc, bien que n’étant pas coéditrice de l’album, se sont chargées de la mise en page et du travail sur le texte.
     
  • Couverture de les Quatre frèresLes Quatre frères, de Bienvenue Gnimpo N’Koué (texte) et Ayoutoufèï Guédégué (illustrations), jeunes talents découverts grâce au Prix Hervé Gigot de l’illustration du livre jeunesse en Afrique, à qui le jury de sélection a accordé le premier prix. Les éditions Ruisseaux d’Afrique (Bénin), cheville ouvrière du Prix, ont donc mené cette coédition avec les éditions Vallesse (Côte d’Ivoire).
    Un beau coup de projecteur pour les auteurs-illustrateurs lauréats du prix Hervé Gigot qui par ces deux coéditions voient leur œuvre diffusée à l’échelle de la sous-région et portée par des maisons d’édition très dynamiques. Pour ces maisons d’édition, les coéditions ouvrent vers une créativité renouvelée, de jeunes talents, la possibilité de susciter des inspirations chez les jeunes auteurs-illustrateurs de leurs pays en valorisant la création.
     
  • Couverture de Le Soir autour du feuLe Soir autour du Feu de Sylvie Ntsame, est une œuvre directement née de l’atelier d’Abidjan. Les éditions Ntsame (Gabon) souhaitaient travailler sur l’adaptation de contes traditionnels et sont arrivées avec une première matière textuelle. Les éditions Elondja (Congo Kinshasa), spécialisées en bande dessinée, ont proposé de conduire le projet d’adaptation en album.
     
  • Le Dodo aux plumes d’or de Corinne Fleury (texte) et Sébastien Pelon (illustrations) et Les Contes de l’Île Maurice de Shenaz Patel (texte) et Sébastien Pelon (illustrations) procèdent d’une autre modalité de coédition. Il s’agit ici de deux titres déjà existants au catalogue de l’Atelier des nomades (Île Maurice/France) auquel se sont associées les éditions Éburnie (Côte d’Ivoire) dans le cadre d’une nouvelle édition des livres. Couverture de Le dodo aux plumes d'orL’impression partagée par les deux maisons et à plus grand tirage, assure un coût unitaire plus bas et la possibilité d’un prix de vente plus accessible. Les jeunes lecteurs ivoiriens (et des pays de la sous-région dans lesquels les éditions Éburnie sont diffusées) découvrent ainsi la culture et la création mauricienne, bel exemple de circulation de la diversité culturelle dans l’espace francophone.
     

Couverture de Contes de l'Ile MauriceC’est également lors de cet atelier que s’est concrétisé le projet de coédition de 1001 activités autour du livre qui a réuni 11 éditeurs africains et indiocéaniques autour du projet collaboratif d’adaptation de cet ouvrage précédemment publié par les éditions Casterman9.

Depuis 20 ans, une solidarité qui se renforce

Les pratiques des coéditions sont devenues une habitude de travail ancrée : elles sont une alternative économiquement viable entre professionnels du livre (du Nord et du Sud) et contribuent au développement des flux Sud-Sud.

La pérennité de ces partenariats éditoriaux réside notamment dans l’appropriation par les éditeurs de ces pratiques de coéditions solidaires et équitables, palliant les difficultés structurelles de la distribution physique des livres. En consolidant des alternatives concrètes et pérennes à la diffusion et distribution « classique » de livres, les coéditions solidaires participent au développement de l’économie locale et à la dynamisation de la création locale.

Il s’agit aussi d’inscrire les acteurs du livre du Sud sur les marchés internationaux. Les échanges de droits vers et à partir de l’Afrique entre autres sont encore balbutiants – et quand ils existent, très peu valorisés : les coéditions permettent de développer les cessions de droits de l’Afrique francophone vers d’autres pays, d’ancrer un peu plus les pays du Sud dans l’économie du livre au niveau international, et de développer les cessions intra-africaines – plus largement les projets « Sud-Sud ».

Enfin, et surtout, les coéditions solidaires ont permis, depuis 20 ans, de provoquer des rencontres, de multiplier les échanges entre professionnels du livre de différents continents, aboutissant à une meilleure connaissance mutuelle, à de réelles amitiés souvent.

 

Une version plus détaillée de cet article est à retrouver dans Les alternatives. Écologie, économie sociale et solidaire : l’avenir du livre ?, collection « Bibliodiversité », publié en février 2021. La collection « Bibliodiversité » est coéditée par Double ponctuation et l’Alliance internationale des éditeurs indépendants.

 

Notes et références

1. « Le Maroc et l’aventure du livre équitable », par Kenza Sefrioui, Le Journal hebdomadaire, 19-25 novembre 2005 (Maroc).

2. Présentation de la collection « Enjeux Planète » sur le site de l’Alliance, voir : https://www.alliance-editeurs.org/+-enjeux-planete-+

3. Présentation de la collection « Terres solidaires » sur le site de l’Alliance, voir : https://www.alliance-editeurs.org/+-terres-solidaires,511-+

4. La Caravane du livre et de la lecture : le libraire, acteur culturel », interview de Prudentienne Gbaguidi Houngnibo, librairie Notre-Dame à Cotonou, ActuaLitté, 11 novembre 2018. En ligne : https://www.actualitte.com/article/interviews/la-caravane-du-livre-et-de-la-lecture-le-libraire-acteur-culturel/91725

5. Le texte de la tribune est reproduit en ligne : https://kassataya.com/2019/11/04/il-faut-rendre-son-independance-a-la-litterature-africaine/;

6. Lire l'article de Véronique Tadjo « La littérature pour la jeunesse : joie et engagement », dossier « L'Edition solidaire », in Takam Tikou, Mars 2021.

7. Lire « Regards de libraires francophones sur l'édition solidaire jeunesse, en France, au Maghreb et en Afrique subsaharienne », dossier « L'Edition solidaire », in Takam Tikou, Mars 2021. 

8. Comme Les cheveux de Cora, Ny volon'i Cora d’Ana Zarco Câmara (texte) et Taline Schubach (illustrations) – traduction du portugais du Brésil vers le malgache et le français.© Jeunes malgaches (Madagascar), 2014. 

9. Lire les différents articles et interviews consacrés à cette aventure éditoriale dans le dossier « L'Edition solidaire », in Takam Tikou, Mars 2021. 


Pour aller plus loin

  • Suite à des études à l’IUT Métiers du Livre d’Aix en Provence, Laurence Hugues a suivi une licence de Lettres modernes à Trois-Rivières au Québec (spécialisées en littérature féministe et littérature de jeunesse), puis un Master Commercialisation des produits de l’édition à Paris 13-Villetaneuse (mémoires de Master 1 et 2 sur le champ éditorial en Afrique subsaharienne francophone). Après plusieurs séjours professionnels en Afrique de l’Ouest, elle rejoint l’équipe de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants en 2007 et en devient la directrice en 2009.
     
  • Site de l'Alliance internationale des éditeurs indépendants : https://www.alliance-editeurs.org/ [Consulté le 25 mars 2021]

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