La littérature pour la jeunesse : joie et engagement

Par Véronique Tadjo, Autrice et illustratrice
Photographie de Véronique Tadjo

Une édition solidaire s’appuie sur l’engagement et l’implication de l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Véronique Tadjo est une autrice et illustratrice militante, qui défend la place du livre jeunesse dans la société et le droit de chaque enfant à avoir accès à cet outil culturel majeur. Elle retrace pour nous son parcours.

Ma rencontre avec la littérature pour la jeunesse est le fruit du hasard, tout en étant née d’un désir profond attendant de se manifester. En 1985, lors d’un salon du livre, Jacques Chevrier, alors directeur de la collection Monde Noir Poche chez Hatier, m’informe qu’il débute une collection destinée à la jeunesse et qu’il est à la recherche de textes d’auteurs africains. Je n’avais jamais songé à me lancer dans cette voie. L’année précédente, mon recueil de poème Latérite avait remporté le prix de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (qui deviendra l’Organisation Internationale de la Francophonie), j’étais également en pleine rédaction de mon premier roman, À vol d’oiseau. Cependant, une fois la graine plantée dans mon esprit, l’idée d’aborder cette Couverture de La chanson de la vienouvelle forme d’écriture ne me quitta plus. Tout un monde imaginaire s’ouvrait à moi : d’autres manières de dire, d’autres facettes à explorer, tant au niveau littéraire que graphique. Car très vite, j’ai eu envie de faire de l’illustration. Grande voyageuse, me retrouvant seule dans des pays étrangers où il me fallait du temps pour faire des connaissances, l’illustration s’est imposée à moi comme une nécessité, avant de devenir une véritable passion qui m’a menée aujourd'hui à la peinture. Ainsi, pour La Chanson de la vie (Monde Noir Poche Jeunesse, 1989), un livre de contes et de nouvelles, j’ai fait des dessins en noir et blanc. J’habitais à Lagos. Quelques années plus tard, me trouvant cette fois-ci à Londres, un éditeur britannique publia mon premier album pour la jeunesse, Lord of the Dance (A&C Black, 1993) avec des illustrations en couleurs. Un hommage à la culture sénoufo du Nord de la Côte d’Ivoire où j’ai enseigné dans un lycée pendant trois ans. Écrit directement en anglais, il sera suivi d’une anthologie de poèmes d’Afrique, Talking Drums, réunissant des auteurs francophones et anglophones. En choisissant de commencer avec la poésie traditionnelle avant d’aborder la poésie contemporaine, j’ai cherché à « raconter » l’histoire du continent par la voix de ses poètes. Depuis ces toutes premières créations, je n’ai plus arrêté. J’alterne entre ma production pour la jeunesse et ma création romanesque. Pour moi, ces deux formes d’écriture ne sont pas en contradiction. Elles se complètent car elles font partie d’un même élan. Je collabore beaucoup avec Les Nouvelles Éditions Ivoiriennes/Ceda à Abidjan qui ont publié la plupart de mes albums illustrés.1

Couverture de Le grain de maïs magiqueLa création littéraire et artistique est pour moi un acte social, un engagement et un mode de vie, qui m’apporte énormément. Écrire, c’est ma manière de lutter aux côtés de ceux qui veulent faire avancer les choses. C’est aussi le désir de partager une vision du monde constructive avec des lecteurs de différents horizons et de plusieurs générations.

En tant qu’autrice et illustratrice, j’essaie de me mettre à l’écoute des autres et de développer un sens de l’observation. Je me considère comme l’héritière de tout un passé culturel et littéraire africain. Je m’inscris dans cette continuité tout en m’ouvrant à d’autres horizons. Mes voyages m’ont plongée dans différentes réalités et cela a influencé ma manière d’aborder la littérature. C’est dans une certaine pluralité que j’inscris mon travail. Je peux mettre un petit drapeau sur chacun de mes livres ; l’endroit où j’ai écrit. Je me laisse prendre par l’environnement dans lequel je me trouve même si je transporte toujours la Côte d’Ivoire dans mes bagages. Il est vrai que l’on s’attache le plus fermement au pays de son enfance, là où l’émotion a surgi. Je me suis donc lancée dans la littérature pour la jeunesse afin d'apporter ma contribution à l'émergence d'une production africaine. J’ai animé des ateliers d'écriture et d'illustration dans plusieurs pays, notamment au Mali, au Bénin, au Tchad, en Haïti, à l'île Maurice et au Rwanda.

Couverture de Mamy Wata et le monstreCertains disent qu’il ne faut pas « toucher » à la tradition orale, qu’il faut la laisser telle quelle de peur de la dénaturer. Oui et non. Il est important de transcrire les contes, les mythes et les légendes comme cela a été fait par les sociologues, les anthropologues ou les historiens. Mais en ce qui concerne le rôle des écrivains, je pense que c’est différent. Il s’agit pour nous d’adapter et de rendre vivace un patrimoine qui, autrement, resterait figé. S’en inspirer sans en être prisonniers. Car il arrive que les messages véhiculés dans les contes traditionnels ne correspondent plus forcément à la mentalité de notre époque.

Le bien-être d’une nation ne repose pas seulement sur l’économie et la croissance. Il se construit également sur des fondements culturels solides. Avoir le sens de l’innovation, vouloir entreprendre, penser autrement, imaginer d’autres possibilités, tout cela est une question de mentalité et d’optique. Et on ne peut transmettre ces « qualités » qu’à travers une culture qui les met en valeur. Nous connaissons aujourd’hui l’importance des personnages positifs dans l’imaginaire collectif. À ce titre, le livre pour la jeunesse est primordial car il développe l’imagination, ainsi que l’esprit scientifique.

Couverture de Le Voyage de YaoChaque ouvrage est une aventure. Ce n'est pas parce que l'on a déjà été publié que l'on trouvera automatiquement un éditeur pour son prochain livre. La crise économique que nous traversons à cause de la pandémie de la Covid-19 accentue les difficultés. C’est toute la chaîne du livre en Afrique et dans le monde qui est touchée par la récession économique. C’est un défi de taille pour les auteurs et les éditeurs africains.  Déjà en temps normal, être un éditeur sur le continent n’est pas facile. Si l’on prend comme exemple la Côte d’Ivoire, la littérature générale, et la littérature pour la jeunesse en particulier, ne sont pas encore très rentables. Le taux d’alphabétisation reste trop faible, le prix du livre trop élevé malgré les efforts d’adaptation au pouvoir d’achat de la majorité de la population, et les réseaux de distribution ne sont pas assez développés. Les livres se trouvent dans les grandes villes, peu dans les petites villes et pratiquement pas en milieu rural. Ce sont donc les ouvrages scolaires qui demeurent l’enjeu. Sans le marché scolaire, beaucoup d’éditeurs fermeraient leur porte. À l’échelle continentale, il faut saluer les initiatives d’un nombre grandissant d’éditeurs africains qui sont prêts à prendre le taureau par les cornes car ils croient au potentiel de la littérature générale. Envers et contre tout, leur enthousiasme fait bouger les montagnes et donne à espérer. Jusque dans les années 1990 en Afrique, la littérature pour la jeunesse a été le maillon manquant. Pourtant, si un enfant n’a pas l’habitude de lire, il a peu de chances de le faire, plus tard dans sa vie. Aujourd'hui, les choses ont évolué. En Afrique francophone, il existe plusieurs collectifs et associations qui accompagnent le livre et renforcent sa place comme outil culturel majeur. On compte par exemple, l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants (2001), l’Association des Éditeurs francophones (Afrilivres, 2002). Le paysage éditorial s’est ainsi solidifié et étoffé, tous genres littéraires confondus. En me rapprochant de ceux qui œuvrent à l'épanouissement du livre pour la jeunesse, j'ai compris combien il était important, dans le cas d'une publication en Europe, de garder ses droits pour l'Afrique. Cela permet au livre de paraître sur le continent plus rapidement et plus librement. Et finalement, tout le monde y gagne car ce ne sont pas les mêmes marchés.

Couverture de AyandaQui dit livres, dit bibliothèques. Il est urgent que les écoles soient dotées de bibliothèques qui fonctionnent et qui sont approvisionnées en livres régulièrement. L’accès à la lecture est un droit. C’est aussi un facteur de développement. À ce sujet, les bibliothèques publiques qui sont, elles, implantées au sein des communautés, favorisent un accès au savoir plus inclusif. Surtout si elles sont des lieux dynamiques où l’oral et l’écrit sont en lien. Parce que la littérature pour la jeunesse en Afrique est un genre qui continue à croître et à trouver ses marques, elle bénéficie d’une grande liberté de styles et de thèmes allant de la tradition à la modernité. Ce sont là les ingrédients pour une production originale.

Notes et références

1. Mamy Wata et le monstre, Le grain de maïs magique, Grand-mère Nanan, Si j’étais Roi, si j’étais Reine, Les enfants qui plantaient des arbres et autres titres.


Pour aller plus loin

  • Véronique Tadjo est née à Paris et a été élevée à Abidjan. Elle a écrit plusieurs romans et recueils de poèmes et consacré une partie importante de son œuvre à la jeunesse. Elle a fait l’essentiel de ses études en Côte d’Ivoire, puis s’est spécialisée dans le domaine anglo-américain à l’Université Paris IV Sorbonne. Après avoir vécu quatorze ans en Afrique du Sud où elle dirigeait le département de français de l’université du Witwatersrand à Johannesbourg, elle partage maintenant son temps entre l’Angleterre et la Côte d’Ivoire. Ses livres sont traduits en plusieurs langues.

 

Articles de Véronique Tadjo parus dans Takam Tikou, accessibles en ligne :

 

Bibliographie pour la jeunesse de Véronique Tadjo :

Les publications en anglais ne sont citées que quand il n’en existe pas de version française.

  • Yao, Véronique Tadjo d’après le film de Philippe Godeau, écrit par Agnès de Sacy et Philippe Godeau. Paris, Le Seuil, 2019.
  • Léopold Sédar Senghor, le poète des paroles qui durent. Ill William Wilson.  Paris, À dos d’âne (Des graines et des guides), 2014.
  • Les Enfants qui plantaient des arbres. Ill. Florence Koenig. Paris, Oskar, 2013. 
  • Reine Pokou. Concerto pour un sacrifice. [Vanves], Edicef (Littérafrique), 2011
  • Nelson Mandela : « Non à l’apartheid ». Arles, Actes Sud junior (Ceux qui ont dit non), 2010.
  • Quand il pleut. Dans Seize petits livres pour petites mains. Kigali, Bakamé, 2010 (1re édition 2007).
  • Ayanda la petite fille qui ne voulait pas grandir.  Ill. Bertrand Dubois. Arles, Actes Sud junior, 2007.
    Ill. Kyoko Dufaux. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes-CEDA, 2009.
  • Chasing the Sun: Stories from Africa. Londres, A & C Black, 2008.
  • Si j’étais roi, si j’étais reine. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes, 2004.
  • Masque, raconte-moi. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes, Vanves, Édicef (Le Caméléon vert), 2002.
  • Talking Drums: A selection of Poems from Africa South of the Sahara. Londres, A & C Black, 2001.
  • Le Bel Oiseau et la pluie. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes (Le Bois sacré), 1998.
  • Le Grain de maïs magique. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes (Le Bois sacré), 1996.
  • Grand-mère Nanan. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes, Vanves, EDICEF, 1996.
  • Mamy Wata et le monstre. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes (Le Bois sacré), 1994.
  • Le Seigneur de la danse. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes, Vanves, EDICEF, 1993.
  • La Chanson de la vie et autres histoires. Abidjan, Nouvelles Éditions Ivoiriennes-CEDA, 1989 (2e édition 2007).

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