Catmouse James et Rolling Pen, deux jeunes auteurs de bande dessinée

Interview autour de "Ary. Les yeux d'Isalo"

Propos recueillis par Corinne Bouquin
Portraits de Rollin Pen et Catmouse James, auteurs de Ary, Editions des Bulles

 

Ary est une série en bande dessinée à quatre mains, écrite par Rolling Pen et dessinée par Catmouse James. Le premier tome, publié au moment du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2018, nous a séduit ; nous avons donc voulu en savoir plus sur ses auteurs et leurs projets.

 

 

 

Peut-être une première question pour mieux vous connaître, d’où êtes-vous originaires ?

Catmouse James : Je suis originaire du Centre de Madagascar, des hauts plateaux. Madagascar a une place cruciale pour moi car mes racines s’y trouvent. C’est important de savoir d’où l’on vient pour pouvoir aller quelque part.

Rolling Pen : Je suis également originaire du centre de Madagascar. Pour moi, Madagascar en tant que tel n’a pas plus ou moins d’importance qu’un autre pays. Je suis malgache et j’ai choisi de raconter des histoires qui ont pour cadre Madagascar, mais j’aurais pu choisir un autre pays selon ma nationalité.

Quelles sont vos formations respectives ? Et comment êtes-vous arrivés à la bande dessinée ?

CJ : J’ai fait des études en marketing et stratégie, mais j’ai toujours voulu dessiner et je l’ai toujours fait. Je voulais que mes dessins prennent vie dans un livre, plutôt que de rester sur des feuilles volantes. On peut dire que mes dessins attendaient leur scénariste. J’ai participé à la résidence itinérante « Ho avy an-tsary » pendant laquelle j’ai pu réaliser mes premières planches condensées dans un album collectif édité par Des Bulles Dans l’Océan avec d’autres auteurs malgaches et réunionnais (Sebastien Sailly, Dwa, Idah, Nino, Moniri M’Bae). À partir de ce moment-là, je me suis senti prêt à dessiner des planches de BD, mais je n’étais pas à l’aise avec le texte ; la narration était floue, mal structurée... D’où la naissance de Ary avec Rolling Pen.

RP : Écrire a toujours été un rêve un peu fou pour moi. Adolescent, j’étais un lecteur vorace, et un lecteur plus regardant sur certains critères plus tard. Ce rêve d’écrire m’a accompagné même pendant mes études en communication et en marketing. Mais le grand saut s’est fait grâce à ma rencontre avec Catmouse James qui m’a proposé d’écrire une bande dessinée. Je n’y avais jamais pensé avant cela. Je m’imaginais romancier mais, en y réfléchissant, j’ai vu dans la BD un support qui synthétisait mon amour pour le cinéma et la littérature.

Qu’est-ce que la bande dessinée vous permet d’exprimer ? Est-elle un moyen de création littéraire et artistique pour donner du plaisir de lecture à tous ? Ou un moyen de parler d’histoire, de faits de société, de sujets tabous ?

CJ :  Pour moi, en dehors de la simple expression personnelle, la bande dessinée est un excellent moyen pour transmettre des messages. Des sujets tabous par exemple, passent mieux à travers un reportage en bande dessinée, puisque l’on peut lire l’histoire à son propre rythme.

RP : Dans mon cas personnel, comme je l’ai dit, la BD permet la convergence entre ma passion pour le cinéma et celle des livres en général. C’est également un excellent support pour faire aimer la lecture et donner une impression moins austère sur un sujet donné. D’ailleurs, la BD est encore victime de ce préjugé puisqu’on la considère difficilement comme une forme littéraire crédible, et qu’elle est l’addition de plusieurs autres formes d’expression. Mais pour moi, la BD murmure à notre oreille d’enfant ce que notre oreille d’adulte n’est plus capable d’écouter. C’est-à-dire que, grâce au dessin, on arrive à toucher un affect et une âme enfouie.

Comment se construisent vos projets ? Comment se déroule le travail préparatoire ?

CJ : Tout part d’une envie, une envie de dire quelque chose, et d’une idée du support. Ensuite nous discutons de nos différences personnelles et de nos points communs : qui veut faire quoi, qui peut faire quoi, comment faire tout ça ensemble... Le travail préparatoire se résume surtout à plusieurs séances de discussions ensemble. Il n’y a pas forcément de sens, de logique et de cohérence à ces séances, mais nous ne nous limitons pas, nous ne mettons aucun filtre sur ce que l’on veut raconter. Tout cela finit par devenir de petites listes de recherche, d’idées, de faits et un projet voit le jour.

RP : Disons que nous partons d’abord d’une idée très générale, d’un thème générique. Ce thème peut s’étoffer au fur et à mesure de l’écriture de l’histoire ou des recherches. Puis, j’écris le déroulé de l’histoire, à savoir une narration pure de ce que sera la BD. Elle peut se faire sur 2 ou 3 pages, sans dialogues, avec juste les péripéties plus ou moins détaillées. Cela donne une idée à la dessinatrice de tout ce qu’il faudra dessiner. Ensuite, je fais un découpage par planche et par case avec les dialogues ; c’est là que l’histoire devient un scénario. Je suggère des plans pour chaque case, mais seule la dessinatrice sera apte à juger quels plans seront plus pertinents au final, puisqu’elle a un œil que je n’ai pas forcément. À tous les stades, chacun a un droit de regard ou de veto sur le travail de l’autre. Mais le scénariste a le dernier mot sur l’histoire et la dessinatrice sur le dessin.

C’est au final beaucoup d’allers et retours sur le travail de l’un et de l’autre pour que l’histoire ait sa propre identité et ne reflète pas uniquement celle du scénariste ou de la dessinatrice.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet d’Ary ?

CJ : Chacun de nous voulait raconter quelque chose, et on a voulu le faire ensemble.

RP : Quand nous avions décidé de faire Ary, nous nous sommes tout de suite mis d’accord sur un conte. C’était pour moi la forme la plus logique pour un premier projet. Il est codifié mais ses codes sont sans cesse bousculés par de nouvelles histoires. Je me souviens d’ailleurs des contes qui m’ont marqués récemment, comme les films La Jeune Fille de l’Eau de M. Night Shyamalan, Quelques Minutes Après Minuit de J.A. Bayona ou même Le Labyrinthe de Pan réalisé par Del Toro. Ce sont des histoires qui commencent comme des chroniques sociales ou familiales, deviennent des contes de manière très surprenante pour ensuite aller vers un terrain plus philosophique. Ces histoires embrassent d’ailleurs plusieurs autres genres comme le fantastique ou l’horreur, mais on a toujours l’impression que nous sommes devant un conte. Le conte permet tout, du moment qu’on arrive à parler à cette âme d’enfant, celle qui s’émerveille. Et c’est grâce à ce constat qu’Ary a vu le jour.

Nous voulions raconter une tranche de vie plus ou moins réaliste dans le Sud de Madagascar, y ajouter un point de vue critique sur les croyances toutes faites et sur la gérontocratie, avec une pointe de symbolisme, mais tout cela "enrubanné" dans du fantastique et de la féérie pour le rendre suffisamment lisible aussi bien par des enfants que par des adultes. Avec la possibilité d’un niveau de lecture différent selon l’âge, l’histoire actuelle, moderne, aurait pu se passer dans un passé ou un futur proche, ou même au présent.

La bande dessinée Ary est née de cette idée-là. C’est l’histoire d’une petite fille qui vit dans un village reculé au Sud de Madagascar. Pour sauver son village de la famine, elle devra voler les yeux d’Isalo, un géant de pierre. Bien sûr, dit comme cela, ce résumé ne fait pas moderne, mais en lisant la BD on voit à quel point c’est une histoire très actuelle, parfaitement ancrée dans les réalités malgaches.

Est-ce un projet imaginé ensemble ? Parlez-nous un peu du style de l’histoire et du dessin ?

CJ : Ce projet a été imaginé et créé ensemble, de l’histoire au choix de la police utilisée. Chacun a ensuite son domaine de prédilection, mais cela n’empêche pas l’intervention du scénariste dans le choix de composition des dessins, ni de la dessinatrice dans le choix des phrases.

Au départ, Ary était prévu en deux tomes. Mais nous avons constaté qu’à la fin du deuxièmetome il y avait encore beaucoup de non-dits, de points flous qui constituent une histoire à part entière ; il y aura donc 3 tomes.

L’histoire est donc un conte moderne avec un soupçon de chronique sociale et les dessins sont faits de traits simples et minimalistes. Mais je donne vie à mes dessins à travers les expressions du visage, les couleurs et les lumières d’ambiance.

Participez-vous à des salons ou des manifestations spécialisées ?

Nous avons participé aux salons suivants :

  • Embarquement Immédiat (Festival du carnet de voyage) de Saint Leu en 2016
  • Cyclone BD à La Réunion en 2017
  • Salon du livre jeunesse de l’Océan Indien en 2018
  • Semaine de la littérature jeunesse de Tananarive en 2018

Mais aussi, bien sûr, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil 2018 et le Festival de bande dessinée d’Angoulême en 2019.

En résumé, notre éditeur, Jean Luc Schneider, directeur Des Bulles Dans l’Océan, fait tout pour que ses auteurs participent à la promotion des albums pendant les salons où beaucoup d’échanges ont lieu, que ce soit auprès du public ou des professionnels.

L’animation auprès des enfants a-t-elle une grande importance ?

CJ : Selon moi, avancer sans partager ne sert absolument à rien. J’ai suivi petit à petit les traces de mes aînés, notamment ceux édités chez Des Bulles Dans l’Océan ; j’essaie de transmettre à mon tour aux enfants. Faire de la bande dessinée à Madagascar me semblait impossible auparavant. Si j’ai pu le faire ainsi que d’autres dessinateurs, pourquoi ne pas susciter l’intérêt des petits rêveurs ? Ce n’est pas le talent qui manque à Madagascar, mais plutôt l’accompagnement.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

CJ : Actuellement, nous sommes sur le deuxième tome de Ary. Rien d’autre en parallèle de mon côté.

RP : En plus du tome 2, je suis en train d’écrire deux autres histoires totalement différentes avec deux autres dessinateurs. L’une sera une BD policière et d’action, l’autre une histoire d’amour atypique. Le point commun est cette volonté de dépeindre un pan de la société malgache. J’ai aussi un projet de livre illustré qui me ferait revenir dans l’univers du conte fantastique avec un autre dessinateur. Bien sûr, tout cela n’est encore qu’au stade de projet, plus ou moins avancé.

Avez-vous envie de proposer des bandes dessinées pour adultes également ? Sur d’autres thématiques ?

CJ : Pas plus tard que l’année dernière, je ne voulais faire que des histoires pour enfants. Pour enfants certes dans la forme, mais également pour adultes sur le fond. J’estimais que si je devais donner quelque chose au monde, ça serait pour les enfants. Mais les envies ne sont jamais définitives et arrêtées. J’aimerais plus tard parler de sujets plus noirs autour du mal-être : l’anxiété, le suicide, la mort, etc.
RP : Après Ary, je voudrais effectivement écrire une histoire plus adulte pour Catmouse James. Il s’agirait de se mettre au défi et essayer de sortir de ce qui est devenu une certaine zone de confort. Et pourquoi pas parler à un public plus averti et donc plus difficile à toucher.

Pour aller plus loin

  • Catmouse James

Aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, elle a toujours voulu être astronaute et/ou dessinatrice de bandes dessinées. Cela pose déjà le personnage qu’elle est.

Les marges de ses cahiers d’école ont souffert de ses gribouillis, qui sont devenus des sketches et des dessins à part entière. C’est de cette manière qu’elle est passée de dessinatrice occasionnelle à illustratrice freelance. Comme si un dessinateur avait déjà dessiné son parcours, elle a été sélectionnée pour illustrer la BD collective Ho Avy An-Tsary. Ary. Les Yeux d’Isalo est son premier album publié.

  • Rolling Pen

Auteur tardif, il avoue aimer raconter des boniments, dont certains finissent en Boniments Dessinés.

Il aime déstabiliser et faire voyager ses lecteurs à travers des écrits teintés de cohabitation entre le romantisme totalement naïf et la dérision presque lucide, le pompeux et l’intime. Son inspiration trouve sa source notamment dans les contradictions de l’humain. Scénariste de BD issu du monde la communication, auteur de micro-nouvelles, Ary. Les Yeux d’Isalo est son premier ouvrage publié.

Pour en savoir plus : https://www.babelio.com/auteur/-Catmouse-James/476929


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