Découvrir les lieux de lecture à Madagascar

Véro Rabakoliarifetra
Installés à une table, deux enfants lisent une bande dessinée.

Comment l’offre de lecture pour la jeunesse s’organise-t-elle à Madagascar, dans ce pays de 20 millions d’habitants où 45 % de la population a moins de 14 ans ?

Trois structures ont créé assez récemment des réseaux de bibliothèques et de nombreuses ONG travaillent à permettre une rencontre entre le livre et l’enfant dans les couches les plus défavorisées de la population. Takam Tikou a demandé à Véro Rabakoliarifetra, journaliste, de dresser un état des lieux de l’offre – complexe et morcelée – en matière de lecture à Madagascar.

Lire en malgache ou en français dans un pays de tradition orale

Contexte historique

Madagascar est un pays de tradition orale : jadis les contes, les us et coutumes, les connaissances, toutes les formes de lois qui régissaient la vie en société se transmettaient de bouche à oreille. Au fil du temps, cette tradition s’est ancrée profondément dans la culture malgache. Mais, à l’aube du XIXe siècle, lorsque les écrits ont fait leur apparition avec l’arrivée des premiers européens, ils furent facilement adoptés.

Les premiers écrivains malgaches furent francophones (contexte politique d’alors oblige). Ceux qui voulaient s’exprimer en malgache rencontrèrent des problèmes : pas ou très peu d’infrastructure pour favoriser la production de livres sur place. Et cette situation persiste à l’heure actuelle. Résultat : les livres malgaches écrits par des malgaches sont très peu nombreux et ceux qui se font connaître sont au moins bilingues.

La pratique de la lecture ne s’est pas non plus beaucoup développée : seuls les habitants des villes ont accès aux livres, alors que 75% des malgaches vivent à la campagne.

Lire en français et en malgache

Outre les manuels didactiques, l’introduction de livres en malgache à l’école, tels les romans et les livres de poésie, a beaucoup contribué à promouvoir le goût du livre et de la lecture auprès des jeunes et des enfants. Pourtant, une fois hors de l’école, ils constatent que leur soif de lecture ne pourra être satisfaite qu’en fréquentant des centres culturels étrangers comme le Centre culturel français ou les Alliances françaises. Les livres pour la jeunesse y sont abondants, très variés, mais la plupart du temps en français !

Non seulement rares, les quelques livres malgaches pour les enfants et les jeunes se limitent en outre à certains genres : les contes, les livres qui parlent des traditions en relation avec l’enfance, la poésie, les romans aussi et quelques titres de bandes dessinées. Plus récemment, des livres très bien illustrés avec de petites histoires ont fait leur apparition. La plupart sont bilingues, car les partenaires surtout financiers l’ont « souhaité » ! Et, nous dit-on, « on doit aussi préparer l’accès des enfants au niveau supérieur des études » qui se font généralement en français.

Quels sont les trois réseaux de lecture publique du pays et comment travaillent-ils ?

Il n’y a jamais eu de véritable réseau malgache de bibliothèques pour la jeunesse, et aux rares bibliothèques publiques qui ont fonctionné tant bien que mal ont succédé, des années plus tard, des centres de lecture comme les CLAC, les CLIC et les CLEF dont nous allons préciser les origines et les fonctionnements. Depuis l’année 2000, ces centres de lecture ont été installés dans plusieurs petits districts répartis dans toute l’île. Ils mettent à la disposition du public, et surtout des jeunes et des enfants, des livres instructifs et distractifs qu’ils ne trouvent pas généralement dans leur école ni dans les rares librairies ou les dépôts-ventes de la ville la plus proche. La plupart de leurs livres sont des dons provenant de France, donc en français. Les livres de jeunesse écrits et édités à Madagascar sont peu présents dans leurs rayons.

Les CLAC, Centres de Lecture et d’Animation Culturelle

Ils ont été créés par l’État malgache (Ministère de la Culture) en partenariat avec l’Organisation Internationale de la Francophonie en 2001. Vingt-deux centres sont répartis dans tout Madagascar. Depuis, les responsables ont installé de véritables médiathèques et organisent des animations culturelles bien adaptées à la réalité et aux besoins des jeunes d’aujourd’hui.

Le CEMDLAC (Centre malgache pour le développement de la lecture publique et de l’animation culturelle) qui coordonne les activités des CLAC vient même de créer une bibliothèque virtuelle à son siège d’Antananarivo. Avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information, la bibliothèque virtuelle offre au public jeune une autre façon de lire. Elle est « à la fois un espace de découverte, d’apprentissage, de loisirs et de travail ».

Les CLIC, Centres de Lecture, d’Information et de Culture

Ce sont aussi des bibliothèques installées dans plusieurs régions rurales de l’île. Cette fois-ci, c’est le Ministère de l’Éducation qui travaille en partenariat avec la Coopération Française, la Fondation Hachette et les communes, en partenariat avec l’association Trait d’Union, actuellement le principal fournisseur de livres de ces centres, sous forme de dons en général.

Depuis 2007, les CLIC travaillent étroitement avec l’Alliance Française.

Les CLIC travaillent aussi avec Planète Urgence, une ONG présente à Madagascar depuis quelque temps. Cette association possède un volet d’appui éducatif qui consiste à faire venir des volontaires en congé solidaire qui se répartissent dans les centres et partagent avec les professionnels locaux expériences et savoir. Ensemble, ils créent de nouvelles activités qui rendent plus efficaces les séances d’animation et de lecture commune.

Les CLEF, centres locaux d’échanges francophones

Ils ont aussi été créés au début des années 2000 dans le cadre du projet « Appui au Bilinguisme à Madagascar ». Ils sont au nombre de 100 répartis dans toutes les régions. Ils ont pour objectif de permettre au public jeune de s’exprimer en français et de bien le lire, car c’est la langue de l’école, surtout à partir du secondaire.

L’ensemble de ces centres de lecture sont en général fréquentés par un public composé d’adultes, de jeunes et d’enfants qui ont un niveau de vie moyen. Si on fait le calcul, il y aurait 1 centre de lecture pour 150 000 habitants dont 55% sont des jeunes de moins de 25 ans !

Un réseau d’ONG en direction des populations les plus défavorisées

Dans plusieurs grandes villes de Madagascar, des ONG étrangères ou malgaches qui participent à la lutte contre la pauvreté réservent une grande part de leurs activités à améliorer la situation des enfants qui sont souvent en totale déperdition scolaire ou qui n’ont jamais fréquenté l’école.

L’ONG Manda

Elle s’intéresse aux enfants des rues de 4 à 18 ans. En dix ans d’existence, elle a accueilli 150 enfants dans ses quatre centres sociaux et elle a suivi l’intégration de 100 enfants dans les écoles primaires et les collèges.

Bien implantée sur l’une des nombreuses collines d’Antananarivo, l’ONG Manda se prépare à installer une petite bibliothèque dans chacun de ses centres. Pour cela, la responsable a fait appel à l’une des rares maisons d’édition jeunesse du pays pour lui demander des conseils sur les livres à mettre dans la bibliothèque. Elle a sollicité l’Alliance française d’Antananarivo et à Planète Urgence de former ceux qui vont assurer les animations dans ces bibliothèques.

L’ONG Graines de Bitumes

Elle s’occupe aussi de la réinsertion des enfants en situation difficile. Pour l’année scolaire 2007-2008, 177 enfants ont été accueillis : 130 scolarisés, 42 en projet professionnel et 5 pour une remise à niveau.

Leur unique bibliothèque est assez fournie. « Presque tous les livres sont des dons », explique Madame Harisoa, une des responsables de l’ONG, « mais les enfants, ici, ne savent souvent lire ni le français ni le malgache. Alors nous utilisons des livres en malgache et les animateurs font la lecture. Nous avons aussi un programme intitulé « espace de parole ». On choisit des textes ou des articles de journaux comme sujet de discussion. Tout se passe en malgache. »

L’ONG Hardi

Elle se trouve dans un des quartiers « chauds » de la capitale, à Andavamamba. Elle vient en aide actuellement à plus de 90 familles qui habitent ces quartiers très pauvres où règne une grande insécurité. Pour pouvoir accueillir plus d’une centaine d’enfants nécessitant une remise à niveau en matière scolaire, les responsables ont aménagé, dans leurs locaux, cinq salles de classe. Le coin lecture est cependant devenu trop petit. Hardi a prévu des travaux d’extension et réservera une grande salle à la création d’une véritable médiathèque. Outre le coin bibliothèque, il y aura un poste de télévision, des ordinateurs pour initier les jeunes à cette technologie et un espace jeux. Les livres proviennent de dons mais l’ONG s’approvisionne en livres en malgache sur place.

L’ONG Inter Aide

Dans le cadre de son volet éducation, elle encadre quinze centres scolaires implantés dans des quartiers pauvres de la capitale. Pour encourager les jeunes élèves à s’intéresser aux livres et à la lecture, Inter Aide met à leur disposition quinze « boîtes à livres » qui servent de bibliothèque tournante. Chaque boîte reste pendant deux mois dans un centre avant de passer à un autre. Il y a en tout vingt livres dans chaque boîte, qui sont en général en français (ce sont des dons). Les enfants sont attirés par les illustrations, même si les images sont souvent très différentes de leur monde et de leur réalité. La responsable du volet éducation envisage aussi de former des animateurs pour aider ces enfants à mieux apprécier les livres mis à leur disposition.

Actuellement, environs 300 ONG avec des objectifs semblables sont implantées dans plusieurs régions de Madagascar.

L’action de l’UNICEF à Madagascar : une aide à la création

Malgré les efforts de certains organismes pour développer le monde des livres à Madagascar, beaucoup reste encore à faire !

Cette situation a amené la représentation de l’UNICEF à Madagascar à réaliser un projet pour procurer des livres aux plus petits en malgache. Ainsi, 20 titres de livres jeunesse vont être publiés avant la fin de 2009, tous écris en malgache, illustrés, édités et imprimés à Madagascar.

Ces livres vont être distribués dans les écoles qui créeront des coins lecture pour les enfants. Ils y découvriront des livres qui leur seront plus familiers et gageons qu’ils y découvriront le plaisir de lire.

Pour aller plus loin

Exemples d’autres bibliothèques à Madagascar

La bibliothèque municipale d’Antananarivo

Antananarivo, la capitale, possède depuis plus de cinquante ans sa bibliothèque municipale. Elle est destinée à tous les publics mais les jeunes la fréquentent beaucoup pour ses livres techniques, ses dictionnaires, ses encyclopédies, etc. 5% des livres seulement sont destinés aux jeunes. Ce sont des livres malgaches achetés sur place en général. D’après une responsable de la bibliothèque, l’acquisition de livres n’est pas toujours la priorité au sein du budget de la commune. Pendant les cinq dernières années, seule une somme équivalente de 2600 € a été accordée pour les acquisitions. « Nous achetons des livres malgaches avec cet argent », a-t-elle ajouté. Certains des partenaires de la bibliothèque demandent l’avis des responsables avant de faire des dons. Les livres offerts sont ainsi plus conformes aux besoins des lecteurs.

La bibliothèque de l’Alliance française d’Antananarivo

L’Alliance française possède actuellement l’une des plus grandes médiathèques de Madagascar, avec plus de 18 000 livres, CD, etc. L’Alliance française d’Antananarivo dispose d’une bibliothèque jeunesse que les élèves de toutes les écoles des environs peuvent visiter, soit individuellement, soit en groupe. Elle propose des séances d’animation, des livres à emporter ou à lire sur place : tout un choix, en français, en malgache ou bilingue.

Instantané de lecture, une visite au CLIC d’Ampefy, un samedi matin

Le CLIC d’Ampefy, une petite ville à 112 km au nord ouest d’Antananarivo, est installé dans un vieux bâtiment rénové se trouvant au beau milieu de la rue principale. C’est le samedi, jour de marché, que le centre reçoit le plus de monde. Tiana, une toute jeune fille, se tient devant le petit rayon des livres écrits en malgache : elle dit qu’elle cherche le manuel qui donne des explications sur la technique de fabrication de la confiture de papaye. La région est un grand producteur de ce fruit. La responsable du centre l’informe que le manuel en question vient d’être emprunté par une autre personne et que le livre ne sera disponible qu’après une semaine.

Installés autour d’une table, trois jeunes garçons sont en train de feuilleter un livre de bandes dessinées (en français). Ils habitent à 5 km de la ville et font le chemin à pied, chaque fin de semaine, pour retrouver leurs livres préférés.


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